Chaque jeudi, “Les Inrocks” vous proposent de découvrir un groupe ou un artiste que vous ne connaissez pas (encore). Cette semaine, on vous parle de Dry Cleaning, quartet venu de Londres pour remettre le “spoken word” au goût du jour, sur des sonorités post-punk hautement inflammables.
Il y a quelques années, pas si longtemps que ça, en 2013, Gallimard rééditait cette grande œuvre de motifs juxtaposés signée Jean-Jacques Schuhl qu’est Télex n°1 (1976). Dans les premières pages de ce livre iconoclaste, tandis que le Goncourt 2001 déroule ses axiomes littéraires, il écrit : “Je pars de l’idée que nous agissons constamment sur un fond d’images – que nous les ayons vues ou non”. Florence Shaw, porte-voix de la non moins iconoclaste formation londonienne Dry Cleaning, assure ne pas lire tant que ça, ignore l’existence de Schuhl, mais semble agir dans l’écriture sur le fond d’images dont regorge le monde hyperconnecté d’aujourd’hui.
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La viralité des mots
Dans une interview accordée au site britannique The Line of the Best Fit, elle explique au sujet du titre Goodnight – morceau d’ouverture de Sweet Princess, un premier EP sorti cette année qui nous a immédiatement interpellés -, que les paroles effrontées de la chanson, parlées (voire scandées) sur des rythmes post-punk incandescents, puisque le spoken word semble être la marque de fabrique du groupe, sont constituées de “commentaires YouTube décrivant des souvenirs de chansons et phrases glanées dans des publicités télévisées”.
Contactée par téléphone un soir pluvieux de novembre, Flo confirme cette tendance à faire feu de tout bois avec ce que le temps présent peut offrir de mieux comme substitut au Télex : réseaux sociaux, brèves, commentaires jetés sur la toile comme un pavé en ces heures insurrectionnelles. “Je collecte des discours et les mots viennent de là. J’imagine des scènes entre les gens à partir de ça, ce qu’ils pourraient se dire. Parfois c’est inspiré de ce que j’ai entendu, de gens au pub, parfois ça vient plutôt de la façon qu’ils ont de parler dans les publicités, les tabloïds ou les quotidiens. Mon inspiration vient de textes courts et de l’évolution du langage au Royaume-Uni”, nous dit-elle.
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Quoi de plus moderne et contestataire, finalement, que cette manière de brailler des textes juxtaposés façon cut-up, quand tous les moyens de diffusion de la parole aujourd’hui semblent être aussi fragmentés que l’époque elle-même ? “Je suis quelqu’un qui observe avant tout, c’est de là que me viennent les mots, poursuit-elle. La protestation peut prendre des formes différentes ; mettre l’accent sur tel ou tel aspect des choses sans en parler de façon radicale, choisir de traiter tel sujet, tout cela peut être très contestataire. Attirer le regard sur un fait et combiner deux idées opposées, même s’il s’agit d’abord du résultat d’une observation, c’est aussi une manière de protester.”
Acerbe, satirique, drôle, Dry Cleaning évoque ainsi la fonction sociale de Meghan Markle à travers son exposition médiatique sur Magic of Meghan, la dislocation des liens affectifs sur Conversation ou encore l’anxiété généralisée du monde libre sur New Job. L’époque nous ronge et la seule façon de s’en expurger momentanément demeure l’urgence.
Deux EPs cette année
“Je pense qu’on est assez productif, lâche Florence. On ne s’embarrasse pas des choses, on essaye de travailler vite et de passer à autre chose. On déteste l’idée d’être esclaves de nos morceaux.” Sorti cette année sur les plateformes, Sweet Princess a en réalité été balancé sur Bandcamp et Soundcloud durant l’été 2018, sans que le public n’y prête beaucoup d’attention. Une histoire que Flo qualifie de “complexe” mais qui reste relativement classique : Dry Cleaning est, au début de son histoire, composé de trois potes, Lewis Maynard, Tom Dowse et Nick Buxton. Flo ne débarquera que plus tard, six mois après la création du groupe.
“On s’est tous rencontré au cours de la décennie qui vient de s’écouler, précise-t-elle. J’ai connu Tom dans une école d’art, à Londres. Cela fait dix ans qu’on se connaît, mais on n’avait jamais fait de musique ensemble jusqu’à il y a un an et demi. Lui a toujours joué dans différents groupes. Mick et Lewis se connaissent depuis un bail aussi, mais ne jouent ensemble que depuis les débuts du groupe. Et moi, je n’ai jamais fait de musique, je suis une totale arriviste (elle rigole, ndlr).”
Quelques mois seulement après la sortie “officielle” de Sweet Princess cet été, un deuxième EP, Boundary Road Snacks and Drinks sortait : “on a l’impression que le deuxième EP est vite arrivé, mais ce n’est pas si rapide en fait”. Au pays de Mark E. Smith, les crieurs publics ont encore droit de cité.
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