Jamais la littérature n’aura été autant imprégnée du monde, de sa précarité, de ses fractures et de ses angoisses. De Michel Houellebecq à Léonora Miano, comment dire adieu au monde, ou le réparer ?
L’année 2018 s’achevait sur les manifestations des Gilets jaunes, la répression violente qui leur était infligée, la présence de plus en plus prégnante de la précarité, le spectre du Brexit, le populisme.
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2019 a commencé avec deux romans capturant parfaitement l’air du temps, et qui allaient donner le ton de l’année littéraire : forcément marquée du climat sociétal.
En janvier, un roman écrasait tous les autres : le crépusculaire Sérotonine de Michel Houellebecq, qui mettait en scène des agriculteurs français dévastés à cause des règles du libre marché instauré par l’Europe.
A côté de la star Houellebecq, deux jeunes gens, Simon et Capucine Johannin, publiaient le poétique et très contemporain Nino dans la nuit : un roman sur la vie d’un jeune type à la dérive, passant de petits boulots pénibles à la survie à tout prix.
Il n’y avait pas d’amour dans Sérotonine, il y en avait dans Nino dans la nuit (centrale, une très belle histoire d’amour). Dans un monde instable, froid et dur, c’est peut-être tout ce qui nous reste comme possibilité de bonheur : l’amour. Ou la mort. Bienvenue en 2019 !
Porter nos angoisses face à l’actualité
Les écrivains sont à prendre très au sérieux car ils se font les médiums d’une époque. Alors qu’il y a vingt ans ils écrivaient davantage sur leurs vies que sur le monde – ce qui leur fut vivement reproché –, ils écrivent beaucoup plus sur le politique aujourd’hui, sur la difficulté qu’il y a à l’habiter, ce monde dont on prédit et pressent déjà la fin, ce qui génère une angoisse immense.
Tendance majeure de 2019 : les livres parus cette année portent nos angoisses face à l’actualité, à la violence du monde, à ses fractures, qu’il s’agisse de l’Europe, du Brexit, de la précarité, du réchauffement climatique, du viol et des violences faites aux femmes.
Au printemps, Bret Easton Ellis sortait même de son silence, non pas avec un roman, mais avec un essai, White, dénonçant la haine et le virtue signalling à l’œuvre sur les réseaux sociaux, créateurs d’intimidation, bref d’une censure symbolique.
Dystopie et uchronie dominent la critique littéraire
Si certains auteurs ont abordé ces thèmes directement, d’autres ont préféré les transposer dans une société du passé ou du futur.
Cette année, les mots “dystopie” et “uchronie” ont dominé la critique littéraire. De quoi sont-ils le nom ? D’une dénonciation des maux de notre société contemporaine, d’une mise en garde face à ses dérives mortifères, suicidaires, ou d’un désir de récrire le passé pour, non pas changer la face du présent, mais nous donner à le penser, sans en être dupes.
Pour le meilleur ou pour le pire : au rayon uchronie, l’incompréhensible Civilizations de Laurent Binet ; au rayon dystopie, de la suite ratée de La Servante écarlate, Les Testaments de Margaret Atwood, sorte de livre pour ados, au magistral Rouge impératrice de Léonora Miano, qui imaginait une Afrique forte et unifiée qui sauverait l’Occident, en passant par la découverte SF de la rentrée, L’Incivilité des fantômes de Rivers Solomon.
2019 aura été une année excitante, où la littérature n’aura offert aucune possibilité d’évasion, mais nous aura remis le nez dans les problèmes. Et pourquoi pas ? C’est peut-être son rôle, de plus en plus, à mesure que les plateformes de streaming se multiplient et que les séries et autres films de superhéros s’imposent comme la distraction dominante.
Un rôle politique et subversif
La littérature, cette année, a plus que jamais embrassé son rôle politique et subversif. Pas toujours par la langue ni le style, en revanche, et on ne peut que le regretter.
Comme si l’écriture se devait d’être aussi simple qu’un dialogue de série lambda. Ce n’est pas le cas des auteurs qui figurent sur notre liste, dont, fait notable et décevant, presque aucun n’aura reçu de prix à la rentrée.
Si l’on est plus qu’heureux que les Editions de l’Olivier, l’une des meilleures maisons d’édition française, qui méritait depuis longtemps un tel coup de projecteur, ait reçu le prix Goncourt, avouons que l’on aurait aimer voir le puissant, le magnifique Ghetto intérieur de Santiago Amigorena récompensé lui aussi.
Pour voir ce genre de livres accéder aux prix aujourd’hui, peut-être faudrait-il réformer tous les prix et changer leurs jurés. On peut toujours rêver, mais pas de quoi en faire une uchronie ou une dystopie.
Cette année difficile, angoissante, a aussi été marquée par la tristesse de perdre l’immense Toni Morrison, décédée en août.
Il faut lire et relire Beloved, et ses essais parus à la rentrée en recueil sous le titre La Source de l’amour-propre. En attendant 2020, les 481 romans de la rentrée de janvier et sa tendance majeure : la famille.
Quand le monde tremble, ce serait l’ultime refuge. Encore que… rendez-vous dans quelques semaines.
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