Paraissant chez Born Bad, une seconde compilation invite à redécouvrir l’œuvre beaucoup trop méconnue du génial moustachu.
Pour la plupart des moins de 20 ans, Pierre Vassiliu n’évoque sans doute rien ou pas grand-chose. Pour la grande majorité des autres, surtout ceux qui ont connu les années 1970, il reste encore aujourd’hui avant tout associé à son tube Qui c’est celui-là ?, aussi improbable qu’inénarrable. Adaptation en français d’une chanson de Chico Buarque (Partido alto), cette rengaine chaloupée – porteuse, l’air de rien, d’une ode à la différence – a remporté un immense succès à sa sortie, en 1973. S’imposant à l’esprit (qu’on le veuille ou non) dès la première écoute, squattant les ondes radio et les plateaux télé, elle se diffuse massivement dans tout le pays. Il va s’en écouler au total plus de 300 000 exemplaires. “J’ai vécu une quinzaine d’années grâce au fric rapporté par cette chanson”, affirmera plus tard Vassiliu.
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D’un seul coup, le petit bonhomme moustachu au regard goguenard devient le chouchou du grand public (l’idylle ne va pas durer bien longtemps). Loin d’être un débutant, il approche alors de la quarantaine. Né en 1937, d’une mère française et d’un père d’origine roumaine, il a d’abord rêvé de devenir jockey (personne n’est parfait) mais va finalement abandonner les canassons pour s’adonner aux chansons. Recueil mi-drolatique, mi-poétique, quelque part entre Boby Lapointe (qu’il admirait), Boris Vian, Georges Brassens et le Serge Gainsbourg des débuts, l’album Pierre Vassiliu paraît en 1964. Sur la pochette, on peut voir qu’il ne fut pas toujours moustachu. On peut le vérifier sur la pochette d’Amour amitié (1970), disque très intimiste et personnel, souvent considéré comme son véritable premier album. S’y révèle un auteur-compositeur-interprète aussi singulier qu’attachant : un doux rêveur, dragueur et blagueur.
Admiré par Arnaud Fleurent-Didier et Albin de la Simone
Par la suite, avançant sans se presser ni courir après le succès (qui lui tombera quand même dessus une fois, comme on sait), il va publier une dizaine d’autres albums, le dernier étant Pierre Précieuses (sic), paru en 2003 de manière très discrète. A cette époque, Pierre Vassiliu est déjà largement oublié. A partir de 2006, il tombe sous l’emprise impitoyable de la maladie de Parkinson, qui finit par l’emporter le 17 août 2014 – lui qui aimait tant l’été et le soleil.
Quatre ans après sa mort, le label parisien Born Bad, prodigue en belles (re)découvertes, commence à offrir une nouvelle vie à sa musique avec la compilation Face B – 1965/1981. L’initiative en revient à Guido Cesarsky, alias Guido Minisky, moitié du binôme Acid Arab. “Comme tout le monde, j’ai d’abord connu Pierre Vassiliu via Qui c’est celui-là ?, chanson qui ne m’intéressait pas du tout, et, pendant longtemps, je n’en ai rien eu à faire de ce mec, déclare Guido Cesarsky. Même quand on me disait que ce qu’il faisait était super, je n’y prêtais pas vraiment attention. Et puis un jour, il y a une dizaine d’années, un copain nous a pris par la main, mon frère et moi, et nous a fait écouter les chansons de Vassiliu qu’il aimait : le coup de foudre a été immédiat.”
Il s’avère que ce copain est Arnaud Fleurent-Didier. Grand fan de Vassiliu (parmi la nouvelle génération de chanteurs français, Albin de la Simone en est un autre), il a réussi à le convaincre de remonter sur scène en 2011 – Vassiliu étant alors très diminué par la maladie – pour interpréter en duo, lors de quelques concerts (dont un à La Cigale), En vadrouille à Montpellier (un titre samplé par I : Cube sur son troisième album en 2003).
Un maître du talk-over
Narrant le flirt très hot entre un quadragénaire et une adolescente, cette comptine libertine figure sur la compilation Face B – 1965/1981, de même que Film, long monologue d’un homme circulant en voiture dans la nuit parisienne à la recherche d’“une fille qui voudrait bien de [lui] ce soir un quart d’heure”. Les deux chansons comptent parmi les plus belles et audacieuses de Pierre Vassiliu, qui s’y révèle un maître du talk-over (ou parler-chanter en VF).
“J’aime beaucoup sa liberté artistique, sa façon d’écrire, de composer et de jouer sans se poser vraiment de questions, confie Guido Cesarsky. Je trouve ses paroles magnifiques, qu’elles soient légères ou sombres, qu’elles riment ou pas. Sa voix et sa façon de chanter me plaisent particulièrement. C’est aussi quelqu’un qui a toujours très bien su s’entourer, qui a bossé avec d’excellents musiciens.” En cette fin d’année 2019, Born Bad présente En Voyages, une seconde compilation de morceaux de Pierre Vassiliu, également réalisée par Guido Cesarsky. Fil conducteur principal de ce nouveau florilège, le voyage aura été – avec l’amour, l’amitié et la musique – l’autre grande passion de Vassiliu. Dans les années 1980, il est ainsi parti vivre plusieurs années au Sénégal avec sa deuxième femme, Laura. Là-bas, il a notamment ouvert un bar et club de jazz.
S’inscrivant en cela dans le sillage d’un autre Pierre angulaire de la chanson française (Pierre Barouh), il a aussi intégré dans sa musique des sonorités venues d’ailleurs, en particulier d’Afrique et d’Amérique du Sud. En Voyages illustre ainsi le songwriting nomade de Vassiliu à travers une impeccable sélection de douze chansons – de l’introductive Initiation, superbe ballade bossa-nova teintée de jazz, à la finale Ça va, ça va, envoûtante ritournelle afro-beat (avec Tony Allen à la batterie) en passant par Moustache, irrésistible soliloque imbibé de maloya réunionnais, Mange pas les bras, longue dérive afro-jazz planante et lancinante, Pierre bats ta femme, rutilante perle (noire) jazz-funk aux paroles bien tordues, ou encore Noix de cola, fable africaine sacrément syncopée. Une troisième compilation n’est pas prévue pour le moment mais reste évidemment envisageable. “J’attends surtout qu’Universal se décide enfin à ressortir les albums, lance Guido Cesarsky. Il est grand temps, vraiment.” A bon entendeur…
En voyages (Born Bad Records/L’Autre Distribution)
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