A Londres, le street artist a organisé sa contre-fête de Noël rituelle. Spéculateurs, fans, artistes, collectionneurs et même police y ont découvert les nouvelles oeuvres du romantique révolutionnaire dont le film Faites le mur sort enfin en France.
« Petit Papa Noël, quand tu déverseras ton fiel… » Pendant les années 2000, ça aurait pu être la chanson officielle des Santa’s Ghetto, expositions sauvages londoniennes organisées juste avant les fêtes par le street artist Banksy et ses complices. Les Santa’s Ghetto et leurs polémiques systématiques ont été un moyen pour Banksy, d’abord inconnu puis propriété privée de quelques happy fews, de diffuser ses peintures et lithographies mais aussi d’installer son nom par quelques coups d’éclat : en 2003, près de Carnaby Street, la peinture d’un Christ crucifié portant des sacs de shopping s’était attiré les foudres de la presse conservatrice.
En 2006, une image détournée par Peter Kennard de Tony Blair se photographiant réjoui devant un Bagdad en flammes allait devenir le symbole de l’opposition à la guerre en Irak – provoquant la rage du gouvernement. En 2007, Banksy et son barnum embarquaient même leur mauvais esprit salvateur vers Bethléem, s’occupant de la décoration du mur des territoires occupés. Une installation minutieuse de la vieille ville de Jérusalem entourée de miradors allait se charger du scandale.
A chaque fois le même mode opératoire pour ces vernissages très prisés : annonce, d’abord, sur un site Internet des dates du show puis, le jour même, annonce par mail nominatif du lieu et de l’heure.
Scandale dès l’ouverture
Après avoir longtemps déserté Londres, l’esprit du Santa’s Ghetto est de retour en ville à l’approche des fêtes. L’exposition s’appelle Marks & Stencils, un détournement du logo de Marks & Spencer (vieille habitude). La veille de l’ouverture, Banksy triait encore les dizaines d’oeuvres à exposer, notamment celle de son nouveau protégé, le Toulousain Dran, venu les valises pleines de ses images d’enfants rêveurs, fugueurs, caustiques.
[attachment id=298]Les portes ne sont pas encore ouvertes que le scandale s’étale déjà dans les tabloïds anglais : une toile signée Mark Sinckler met en scène un des bus dévastés par la vague d’attentats du 7 juillet 2005 d’où s’évade une nuée d’anges. Prévenue par des piétons outrés, la police fait une descente. Il est question de fermer la galerie. La police finit par quitter les lieux en conseillant à l’équipe de décrocher l’oeuvre de la vitrine, histoire de calmer le jeu et d’éviter des réactions qu’elle craint violentes.
Des collectionneurs ont payé des ados pour faire la queue
Comme depuis quelques années et l’ascension de Banksy, anonyme de Bristol devenu l’artiste anglais le plus populaire et controversé des années 2000, très loin devant tous les Damien Hirst (qui le collectionne) du royaume, la queue a commencé à se former dès l’annonce du lieu, en fin de matinée.
Dans cette foule, on reconnaît quelques collectionneurs, de simples fans de street art qui gèrent aujourd’hui un véritable patrimoine après avoir eu la chance d’acquérir des Banksy dans les premiers Santa’s Ghetto : des toiles achetées 300 euros, vendues à plus de 120 000 euros quelques années plus tard !
On nous montre un groupe d’adolescents : ils ont loué leurs services à de riches collectionneurs qui n’avaient pas envie de passer la journée dehors par zéro degré. Ils seront les premiers à pénétrer dans la galerie improvisée et à acheter les pièces uniques ou les tirages limités dont ils enverront en direct les images à leurs commanditaires.
40 000 euros en cash contre un pochoir sur toile
Les spéculateurs aussi sont là. Ils ne ratent aucune exposition de Banksy dans le monde. Les organisateurs dégoûtés les voient débouler de Los Angeles à Bethléem, carnet de chèques à la main : en quelques heures, sur e-Bay, ils auront vendu les pièces jusqu’à vingt fois leur prix d’achat – ils font penser à ces gouapes douteuses qui vendent très cher les tickets de concerts devant les salles sold out.
L’un d’entre eux demande aux autres s’ils n’ont pas un pochoir sur toile de Banksy à vendre : il a 40 000 euros en cash et, à l’évidence, un client déjà en vue. Ils parlent de leurs dernières prises comme des philatélistes, comme des collectionneurs d’images Panini. Ils se fichent pas mal de l’art grinçant, de la poésie lunaire de Banksy, seul compte le cash que le street artist génère.
Son nom et son visage restent inconnus
En Angleterre, Banksy est devenu un marché tellement juteux qu’il est désormais aux mains d’une mafia qui contrôle aussi le trafic de drogues et de DVD pirates. On ne trouve plus un marché, plus une boutique de souvenirs sans un gadget Banksy : sur des grenouillères de bébé, des mugs, des toiles même, tout est détourné par cette économie grise. Une récente enquête l’affirmait : il est l’artiste dont le copyright est le plus bafoué au monde. C’est aussi un choix : Banksy offre ses images en téléchargement sur son site et refuse, pour protéger son anonymat, de se lancer dans le moindre procès médiatique.
Car la grande force de Banksy, incroyable dans un pays scruté par des centaines de milliers de caméras de surveillance (une des cibles du graffeur), reste son anonymat : les tabloïds de droite, furieux de son mauvais esprit contagieux, ont mis sa tête à prix. Mais personne n’a encore trahi Banksy : son nom et son visage demeurent un mystère sauvagement protégé par ses proches. A Bristol, ville de ses premières actions, il existe des dizaines de street artists prêts à raconter aux journalistes des histoires sur Banksy : mythes et légendes, pathétique moyen de s’offrir quelques secondes de gloriole. Banksy, lui, court toujours.