Prospection, constat d’huissier, emménagement de nuit… C’est tout le savoir-faire de Jeudi Noir qui a permis au collectif luttant contre le mal-logement d’annoncer vendredi l’occupation d’un immeuble vide de 4000 mètres carrés, avenue Matignon. Les Inrocks.com reviennent sur cette opération qui a poussé Axa à porter plainte contre le collectif.
Rendez-vous était fixé mercredi dernier au café Miro, métro Miromesnil. Prière de ne pas parler trop fort en buvant le café de 8h30 à côté du flipper. Il s’agit de ne pas éveiller l’attention en attendant l’arrivée des confrères du Parisien, de Rue89 (seuls médias avertis avec les Inrocks.com) ainsi que de Julien Bayou, conseiller Europe écologie et figure médiatique de Jeudi Noir, collectif chasseur de logements inoccupés.
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« J’espère qu’ils ne vont pas trop tarder, que l’on puisse entrer dans l’immeuble tant qu’il n’y a pas trop de monde dans la rue », confie méfiant Simon Cottin-Marx, chômeur estampillé Jeudi Noir.
Gendarmes et CRS n’ont rien remarqué
De la discrétion, il en a fallu aux militants du collectif pour arriver jusqu’à la conférence de presse qui se tiendra aujourd’hui, à 9h. Dix jours « en sous-marin » dans leur nouvelle prise : un édifice noir, situé –excusez du peu– avenue Matignon, quasiment face à l’ambassade d’Israël et à deux cents mètres de l’Elysée. D’un bout à l’autre du pavé, des gendarmes et des CRS font en permanence le pied de grue. Ils n’ont rien remarqué. Dur d’imaginer la présence de squatters dans « ce quartier sans épicier« , dixit un militant.
Pourtant, au sein des huit étages et des quelque 4000 mètres carrés habitables, une quinzaine de militants de Jeudi Noir et les premiers « locataires » sont déjà installés. Ils dorment principalement au dernier étage, par souci de discrétion, pour n’avoir qu’un étage à chauffer et probablement pour admirer la vue panoramique sur la capitale.
Le collectif commence à être rodé
Depuis sa création en 2006, Jeudi Noir, comme les autres collectifs de mal-logés tels le DAL ou Macaq, réclame l’application de l’ordonnance de réquisition des logements vides émise en 1945 par le Conseil national de la Résistance (CNR). Les militants affirment que dans l’agglomération parisienne, il y aurait 11% de logements vacants. L’Insee – tout en reconnaissant la difficulté de l’exercice – évaluait cette vacance en 2006, sur le même territoire, à 8,3%.
De plus en plus rodé depuis l’expérience de « la Marquise » place des Vosges –qui a duré près d’un an et a entraîné une condamnation de 80 000 euros d’indemnités pour les ex-occupants– le collectif a soigneusement choisi ses nouvelles pénates « parmi une liste de quelque 200 lieux inoccupés sur la région parisienne« , précise Simon Cottin-Marx.
« Le problème, c’est que 80% des plans sont soit gardés par des vigiles, soit trop sécurisés, ou alors ils ne remplissent pas les conditions qui nous permettraient de tenir un certain temps. »
Un immeuble inoccupé depuis 2006
Avenue Matignon, c’est l’oiseau rare. L’immeuble est doublement symbolique : il appartient à une grande compagnie d’assurance (Axa) et, cerise sur les locaux, l’emplacement jouxte des lieux de pouvoir.
Julien Bayou se souvient de la découverte du bâtiment.
« Nous l’avons repéré au mois de mai 2010, la porte d’entrée était ouverte [ce qui permet au collectif d’affirmer qu’il n’y a pas eu effraction]. Nous avons constaté qu’il devait être inoccupé depuis environ 2006, dernière date de contrôle indiquée sur les extincteurs. »
Une fois la cible validée, une live box a été commandée, des matelas amenés de nuit par camion, puis les pièces de chaque étage ont été distribuées aux mal-logés inscrits sur la liste d’attente de Jeudi Noir.
Dernière précaution : éviter le délit dit « de flagrance ». Si la police considère que les occupants viennent d’investir les lieux, elle peut s’auto-saisir et se passer de la procédure judiciaire. En d’autres termes, pénétrer et évacuer tout le monde manu militari. La solution choisie par Jeudi Noir : un constat d’huissier, réalisé lundi dernier, pour prouver que les lieux sont bien occupés depuis quelques jours.
Contacté par les Inrocks.com, un avocat spécialiste du droit immobilier juge le procédé du collectif « bringuebalant du point de vue légal ».
« Dans ce genre de dossier, c’est davantage le contexte politique qui va jouer que le droit pénal. Si les policiers décident de constater la flagrance, ni le constat d’huissier ni personne ne pourra les en empêcher. »
La partie médiatique peut désormais commencer. Pas certain que la guerre de Troie judiciaire souhaitée par Jeudi Noir ait bien lieu.
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Au bout de quelques heures, Axa porte plainte
Guillaume Borie, chargé de communication chez Axa, a expliqué aux Inrocks pourquoi le groupe d’assurance a tardé à porter plainte.
« On a essayé de comprendre pourquoi ce bâtiment, que nous détenons à 90% via une filiale nommée UGICOMI, était vide depuis septembre 2007. On ne peut pas encore l’expliquer avec précision. »
Axa prétend donc ignorer que les locaux du 22 avenue Matignon étaient vides alors que le siège mondial du groupe est situé juste en face, au numéro 25. La compagnie d’assurance a décidé, en début d’après-midi, de porter plainte contre X et d’introduire un référé judiciaire auprès du Tribunal de grande instance de Paris. Les motifs avancés par Axa ont été choisis avec une grande prudence.
« On regrette vivement que ces locaux soient inoccupés. Mais ce sont des bureaux et non des logements, donc il peut y avoir des risques d’hygiène. Et surtout, la proximité de l’ambassade d’Israël et de l’Elysée pourrait entraîner des problèmes de sécurité publique. »
En résumé, ce squat serait d’une part dangereux pour ses « habitants » et en second lieu, il pourrait occasionner des désagréments d’ordre public. Mais rien en ce qui concerne le préjudice financier, l’entreprise se garde bien de réclamer quoi que ce soit.
La préfecture de police de Paris a indiqué aux Inrocks qu’elle ne souhaitait pas communiquer pour le moment. Cependant, le chargé de communication a reconnu que dans l’éventualité où le constat d’huissier effectué lundi par Jeudi Noir était « un document établi dans les règles prévues par la loi, le délit de flagrance –permettant d’évacuer les lieux dans un délai de 48h– n’entrerait pas en ligne de compte ». Jeudi Noir a d’ores et déjà appelé à une manifestation de soutien devant le siège du groupe Axa à 18h, vendredi.
Geoffrey Le Guilcher
Dernière mise à jour le 7/01 à 17h40 : ajout des informations sur la plainte d’Axa et de la réaction de la préfecture de police de Paris.
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