Au club de Noisy-le-Grand, qui a formé deux champions du monde, ils sont une trentaine à venir s’entraîner tous les soirs selon un rituel immuable.
Des murs jaunes, un éclairage blafard au néon. Des posters de boxe partout sur les murs, des potes des combattants passés par ici ou des champions (Jean-Claude Bouttier, Mike Tyson, Jean-Marc Mormeck). Sur les étagères, des gants, des casques, des protège-dents dans des petites boîtes en plastique avec leur nom dessus. Sur un écran défile When We Were Kings de Leon Gast, documentaire sur le combat qui opposa Foreman et Ali en 1975 à Kinshasa, au Zaïre.
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[attachment id=298]Il est 16h30 dans la salle de la section boxe de Noisy-le-Grand, à l’arrière du gymnase Marcel-Cerdan. La salle ouvre du lundi au vendredi. Tous les soirs, le même rituel. On commence par s’échauffer en sautillant sur place ou à la corde. On fait des vannes, on prend des nouvelles de la famille, des amis, on parle du dernier film d’Eric et Ramzy, de la situation en Libye : « Kadhafi, c’est un chaud, attention ! » Puis on fait du shadow en boxant contre un mec imaginaire ou devant une glace. On enroule lentement ses bandes autour des mains. Enfin, on enfile les gants et, contre le sac lourd, bim, bim.
Joseph Germain, 59 ans, patron de la salle et entraîneur des pros, a formé ici deux champions du monde (Mormeck et Steve Hérélius, deux lourdslégers).
« Deux champions du monde, ça veut dire que ce n’est pas un coup de bol », lance-t-il.
Derrière lui sur le mur, des centaines de pass et de badges, souvenirs des combats menés à travers le monde : en Allemagne, en Russie, au Caesars Palace de Las Vegas. On entend la radio en fond sonore, des morceaux des Eagles ou de Richard Cocciante.
Joseph Germain file sur le ring de droite avec les pros pendant que son assistant Mohamed Djendeb, 42 ans, dit Momo, prend en charge les amateurs sur le ring de gauche. Fin de l’échauffement.
Le timing change. Trois minutes de boulot (le temps d’un round), une minute de repos. Ce sera le même jusqu’à la fin de l’entraînement. La musique disparaît sous le bruit des coups.
La salle, ouverte au début des années 80, compte une trentaine de boxeurs chaque soir. La star, c’est Carlos Takan, 30 ans, Camerounais débarqué ici après les JO d’Athènes en 2004. Carlos est une masse, n’importe lequel de ses coups tuerait immédiatement.
Selon Joseph Germain, « il deviendra champion du monde des poids lourds ». Carlos Takan : « Si Monsieur Germain le dit, c’est que c’est vrai. » Ce soir, Carlos travaille l’esquive avec Mounir Chhibi, 33 ans, un ancien pro habitué de la salle.
« J’ai fait de beaux combats mais j’ai toujours eu du mal à faire coller la boxe et le boulot. Je bosse à la RATP, je conduis le bus 303. C’est pas évident avec les horaires », explique Mounir.
Il cogne dur sur Carlos, qui évite les coups et suit les conseils de Joseph Germain. « Mets les gants. Protègetoi, protège-toi, décale-toi. » Fin des trois minutes. Germain prend Carlos à part. Mounir récupère contre les cordes, Momo lui file un peu d’eau. « Mounir, c’est un grand boxeur, raconte Momo, ancien boxeur formé ici, grand frère et mémoire de la salle. Il aurait pu aller loin mais il a choisi de privilégier le travail. Il vient quand même pour transmettre son savoir, ses connaissances, sa passion, il vient suer. La salle, c’est chez lui. »
[attachment id=298]Joseph Germain a adopté une politique « à la Guy Roux », résume un habitué : on prend les boxeurs jeunes, on les fait monter en puissance grâce à une formation maison et on les garde pour qu’ils fassent tourner l’esprit de la salle. Pas de chichi, pas de wah-wah, le lieu transpire l’authenticité.
Près de l’entrée, deux objets résument la salle. D’abord « la machine infernale », créée par Joseph Germain pour le championnat du monde qui opposa Mormeck à l’Américain Virgil Hill, en 2002. C’est un gant fixé au bout d’un tube que l’on fait coulisser à toute vitesse.
« On savait que Hill avait un bon direct du gauche, alors on a inventé ce truc pour que Mormeck s’habitue à l’éviter. Ça a plutôt bien fonctionné », plaisante Germain. Juste à côté, le « pneu cubain », gigantesque et fixé au sol, sur lequel les boxeurs tapent avec une masse qu’ils lèvent très haut.
« J’ai piqué ça aux Cubains, c’est parfait pour se faire le haut du corps, les bras, les trapèzes », poursuit Germain.
Pendant que le boss et Momo s’occupent des boxeurs qui ont un combat prévu, les autres font leur vie. C’est réglé comme du papier à musique. Les dix sacs lourds fixés au plafond ne perdent pas un coup. Certains habitués, arrivés un peu plus tard, sautent encore à la corde. De jeunes boxeurs de 14 ou 15 ans se contentent de bidouiller dans les coins. La plupart viennent de la cité Descartes toute proche.
Près d’un énorme sac noir, on croise Bilal Mansouri, 23 ans, et Mohamed Elbaz dit Tyson, 32 ans. Bilal est étudiant en master de management et d’organisation des entreprises. Sur le ring, c’est un super-coq. Il vient de passer pro, « six victoires, un nul ». On le surnomme le Mexicain, il hurle chaque fois qu’il donne un coup.
Dans cette salle où les poids lourds sont majoritaires, Bilal a pourtant trouvé sa place. « Je me fous du poids. C’est une bonne salle parce que les mecs qui viennent là sont des types bien, ils te font progresser, il te parlent, ils te cadrent. »
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Tyson, poids lourd, a momentanément stoppé sa carrière suite à un pépin physique. Bruno Guyon, amateur de 18 ans, les rejoint. Ils l’ont pris sous leur aile.
« La salle, c’est aussi un lieu de vie, on y enseigne la ponctualité, la politesse, des trucs de base », explique Tyson. Bruno, qui a quitté l’école, explique que la salle lui a appris « le respect de certaines règles ».
« J’ai mes relais dans la salle, renchérit Joseph Germain. Momo, Tyson, Mounir enseignent l’esprit, leur présence est fondamentale, la salle fonctionne comme ça. »
La transmission est virile, pudique. On parle peu. Depuis quelques jours, la salle est affiliée à l’Académie Christophe Tiozzo, qui aide les boxeurs à trouver du travail. « C’est très important, explique Germain, car ils seront très peu ici à vivre de la boxe. Pour l’instant, seul Carlos y arrive. »
20h30, fin de l’entraînement. La radio revient peu à peu, les gars quittent la salle. « Demain, 16 h 30 les gars. Bonne soirée », hurle Joseph Germain.
Pierre Siankowski
Photos: Jérôme Brézillon
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