Découvrant en 2006 un parfum à l’effigie du Che en vente sur Ebay et d’autres sites, les légataires du photographe Alberto Korda, auteur du célèbre cliché du révolutionnaire argentin « au béret et à l’étoile », assignent en justice les sociétés profitant du produit. Le 27 mai dernier, la justice française a estimé que comme les captures d’écran avaient été bâclées, la preuve sur Internet de la contrefaçon n’était plus établie.
Sur le Net, capturer n’est pas jouer. Pour établir une preuve, mieux vaut faire appel à un huissier spécialisé qui s’occupera avec attention de la kyrielle de détails techniques à respecter si l’on veut définitivement prouver que l’image que l’on capture est bien en ligne sur tel site, à telle date et à telle heure.
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Visiblement, les détenteurs des droits de l’une des plus célèbres photographies du monde ignoraient ces précautions quand ils ont attaqué, en 2006, pour contrefaçon de droits d’auteur, la marque « Max Gordon » et son parfum Che Guevara en vente sur des sites comme Ebay ou Senteursfrance.com. Le 27 mai dernier, le tribunal de grande instance de Paris a rejeté la plainte de la fille de Korda et de deux autres détenteurs des droits d’exploitations du cliché car « les diligences techniques en matière de preuve sur Internet n’ont pas été respectées« .
Ne pas dénigrer la réputation du Che
Le 6 mars 1960 à la Havane, Fidel Castro, Ernesto Che Guevara, Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre assistent aux funérailles des victimes du sabotage du bateau La Courbe. Muni de son vieux Leica, Alberto Diaz Gutiérrez dit Alberto Korda, photographe pour le journal cubain Revolución, réalise alors la photographie intitulée « Guerrillero Heroïco« .
Un demi siècle plus tard, le cliché est brandi dans toutes sortes de manifestations, reproduit dans le monde entier sur des tee-shirts et toutes sortes d’objets. Selon le site Droit-image, cette photo serait libre de droits mais ne pourrait être utilisée pour « dénigrer la réputation du Che« .
Par contrat datant de 1995, Alberto Korda aurait cédé à Patrick M. les droits d’exploitation, de reproduction et de diffusion de ladite photographie pour une durée de dix ans, prolongée jusqu’en 2008. Patrick M. a ensuite concédé une licence d’exploitation du cliché à une société américaine dénommée Legende Llc. Et pour compliquer un peu le tout, à la mort de Korda en 2001, son testament désigne sa fille comme légataire universelle de sa succession.
En 2006, ces trois ayants droit constatent la vente en ligne d’un parfum utilisant l’image en question du Che.
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Ils assignent alors les différentes sociétés bénéficiant du produit et celles en diffusant la vente comme Senteurs de France ou un certain Peter F. sur Ebay. Les juges ont estimé que la fille de Korda et Patrick M. étaient fondés à agir en contrefaçon de droits d’auteurs, pas la société Legende Llc dont les droits de l’exploitation s’arrêtaient en 2004.
Preuve sur Internet
Mais toute la procédure s’est finalement retournée contre les accusateurs, le tribunal ayant considéré que les captures d’écran présentées à l’audience ne « permettent pas de s’assurer (…) que l’affichage porté à l’écran était bien d’actualité« .
Pour prouver le litige, un huissier a procédé à trois capture d’écran: le 27 novembre, le 5 et 6 décembre 2006. Mais, il n’a pas systématiquement « procédé aux démarches de suppression des fichiers historiques et des caches (…) ni supprimé les cookies« .
L’ensemble ne permet pas de « tracer le cheminement employé » et donc de faire le lien entre les pages visitées et l’achat du parfum litigieux. Un autre huissier avait réalisé une autre capture le 23 novembre 2007 à partir du site archive.org, aussitôt considéré par les juges comme personne privée sans autorité légale « dont les conditions de fonctionnement sont ignorées« …
Maître Anthony Bem, avocat spécialiste des nouvelles technologies, relève que cette décision vient préciser des points déjà entérinés par la jurisprudence.
« Même si la jurisprudence de la preuve sur Internet a évolué ces deux ou trois dernières années, il existe un canevas et des étapes à respecter (pour réaliser une capture d’écran). Ce qui est intéressant dans cette décision, c’est que le juge a employé le mot « cheminement » pour la première fois signifiant ainsi qu’il y a toute une démarche logique à respecter. »
L’huissier n’ayant pas respecté ce « canevas jurisprudentiel« , les quatre captures d’écran ont été considérées « sans force probante« . Conclusion : pas de réparation au titre de préjudice moral pour la fille de Korda qui réclamait 50 000 euros et pas de préjudice pécunier de 675 000 euros pour Patrick M. et Legende Llc. En revanche, les trois parties ont été condamnées à payer 2000 euros aux différentes sociétés attaquées.
Geoffrey Le Guilcher
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