Créé en 2009, Un village français a su adapter des méthodes d’inspiration américaine à la fiction française et propose déjà sa quatrième saison.
Par goût pour la provocation, ou simplement par lucidité, on pourrait écrire sans rire que la France ne sait pas faire de séries. Pas forcément au sens qualitatif du terme (la discussion reste ouverte), mais au moins quantitativement. Même Canal+, chaîne la plus puissante et la mieux intentionnée dans ce domaine, a beaucoup de mal à fournir douze épisodes par an. Exemple parmi d’autres, il faut attendre en moyenne deux ans entre chaque saison de l’emblématique Engrenages. Créée en 2005, la série entamera bientôt sa quatrième levée… Dans ce contexte, Un village français détonne par sa présence persistante et son hyper productivité.
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Programmée depuis 2009 sur… France 3, la série a été imaginée dès le départ pour être diffusée à intervalles réguliers, chaque fournée d’épisodes couvrant une période précise de la Seconde Guerre mondiale, à travers une petite communauté du Jura. Cinq ans du destin de la France, occupée par les nazis entre 1940 et 1944, pour cinq saisons de fiction : telle était la première intention, qui a été légèrement rectifiée depuis – la quatrième saison couvre l’été 1942. Mais le compte est bon. En trois années d’existence, trente-six épisodes ont été réalisés. Douze fois cinquante-deux minutes par an sans tomber dans le n’importe quoi, qui d’autre réussit cela en France ?
Pour tenir la distance, Un village français s’est appuyé depuis ses origines sur un trio complémentaire de créateurs, composé de Frédéric Krivine (scénariste), Philippe Triboit (réalisateur) et Emmanuel Daucé (producteur). Les compères ont revu de fond en comble les méthodes ordinaires de fabrication d’une série française. Pour cela, ils ont décidé de dire au revoir, autant que possible, à l’artisanat, tout en conservant le point de vue d’un auteur principal.
Drôle d’équilibre. Alors que la plupart des autres séries made in France s’appuient sur des scénaristes uniques ou sur des duos, celle-ci ouvre trois mois par an une véritable salle d’écriture, comme le font toutes les productions américaines, de Dr House à Mad Men. Le but : brasser des idées et imaginer les lignes de force d’une saison en général et de chaque épisode en particulier. Un village français crédite à son générique quatre scénaristes qui interviennent dans cette salle. Le directeur d’écriture, Frédéric Krivine, reprend ensuite tous les scénarios.
Ce quinquagénaire suractif s’était fait connaître à partir de la fin des années 90 pour avoir redonné un coup de fouet aux séries françaises avec PJ, qui reprenait les codes de la magnifique série policière new-yorkaise NYPD Blue. On retrouve ici son goût pour les intrigues noires et les caractérisations psychologiques appuyées, dans une saison 4 où le maire du village, les résistants et les flics sont confrontés à une inflexion de la politique de Vichy : les rafles ne concernent plus les seuls Juifs étrangers, mais tous les Juifs. Jamais bêtement sentimentale ou grossière, la série montre une vraie rigueur et une certaine modestie dans son savoir-faire.
Une modestie dont on peut percevoir à la fois l’intérêt et les limites. Si Un village français reste toujours solide, bien structuré à coups de rebondissements et de cliffhangers, son application à bien faire lui ôte de la spontanéité. Manque un sens du swing qui pourrait sortir la série d’un état général parfois figé, voire vieillot. Dans le contexte français, ces défauts n’ont pas un caractère rédhibitoire. Mais on peut se souvenir de la sublime mini-série sur la Première Guerre mondiale, La Maison des bois, réalisée par Maurice Pialat pour l’ORTF en 1971, pour comprendre que l’on peut toujours mieux faire.
Olivier Joyard
Un village français, saison 4, sur France 3. Deux épisodes chaque mardi à partir du 27 mars à 20 h 35.
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