Dans le sillon de Carver ou Salinger, la Québecoise Evelyne Mailhot pose dans huit nouvelles à la grâce contenue la question de la solitude et du désir.
« L’Amour au cinéma », dit le titre, et déjà le film commence. Un genre de promesse, de miroitement. A moins que ce premier livre d’une jeune auteur de 32 ans originaire de Montréal joue plutôt avec l’idée d’un lieu commun. Combien de coeurs palpitants charriés par la littérature et le cinéma ? L’amour est-il possible en dehors de ces stéréotypes ?
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En huit nouvelles d’une surprenante maturité, Evelyne Mailhot s’attache aux facettes du sentiment amoureux. Ainsi le long feu du désir tel qu’il se manifeste, dans une première histoire, chez une trentenaire frivole incapable de prolonger un flirt jusqu’au jour où elle croise la route de Lucas, un barman musicien (« Le Charme d’Agnès »). Retour de flamme oblige, l’amour sera aussi cette vieille blessure, un imparfait douloureux qui ronge le coeur des vieillards comme des collégiens (« Le Mari abandonné », « Une petite partie de l’histoire de Freddy »).
De la naissance du désir à son carambolage, les phases de transformation vont bon train : miracle ou piège, bouée de sauvetage, bombe à retardement… L’amour serait d’emblée ce secret gardé trop longtemps pour soi, cette évidence impossible à partager :
« Leur bonheur d’être ensemble était constamment menacé par la peur que ce sentiment ne fût pas réciproque. »
D’où la force contenue de ces nouvelles, rivées à une zone floue, indécidable, qui borde le scénario canonique de son ambiguïté, ce laps de confusion inhérent à une forme de solitude, de réserve fondamentale qu’on retrouve chez les grands nouvellistes américains.
La plus belle histoire du recueil se déroule d’ailleurs sur une plage. Dans « Face à la mer », un père divorcé en vacances à Hawaii avec sa fille fait la rencontre d’une jeune femme. L’enfance, le bruit des vagues et un danger latent y culminent, faisant immanquablement penser à la nouvelle de Salinger, « Un jour rêvé pour le poisson-banane ».
Question titres, l’auteur n’a rien à envier au géant américain. « Félix face à la mer », « La Fin du film », « Catherine, possibility of crime » dressent des cloisons de soie dans ce labyrinthe parfois délétère qu’est l’amour. L’art du cut, du flash-back, de la voix off prend ailleurs possession du texte, comme si l’auteur y voyait une manière de déconstruire le sentiment amoureux, une ruse pour mieux le pousser dans ses retranchements. L’amour au cinéma, soit, mais alors en forme de confession et face caméra.
Emily Barnett
L’Amour au cinéma (Les Allusifs), 160 pages, 13 euros.
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