Un Philippin des bidonvilles adopté par un couple américain : un beau mélodrame politique.
Le John John du titre n’est pas un caïd de faubourg rêvant d’Amérique, mais un gamin de 6 ans vivant dans un gigantesque bidonville de Manille. On découvre ainsi John John et toute sa famille au réveil, dans leur invraisemblable gourbi fait de tôle ondulée, de murs de bric et de broc et de mobilier hétéroclite récupéré à droite à gauche. Le père part travailler, les grands frères se bougent, la maman, Thelma (grandiose Cherry Pie Picache, digne d’Anna Magnani), s’active pour préparer le premier repas et s’occuper du petit John John. Mendoza adopte le plan-séquence pour coller au pouls du quotidien de ses personnages, la caméra à l’épaule pour se faufiler à l’aise dans ces lieux exigus et labyrinthiques et coller autant que possible au temps réel de l’action. Rapidement, on réalise que le film sera concentré sur une seule et même journée.
Une fois expédiés le premier repas et les premières ablutions de la journée dans des bassines et seaux de fortune, la caméra suit John John et sa mère en dehors de leur habitation et entraîne le spectateur à la découverte du quartier. Et pour un Occidental, c’est là un spectacle étonnant, saisissant, et particulièrement instructif. “Est-ce ainsi que les hommes vivent ?”, demandait Aragon. Oui, c’est ainsi que vivent des centaines de millions d’humains à travers les quartiers déshérités du monde entier. Ici, donc, Manille, aux Philippines. Un dédale invraisemblable de ruelles, de coursives, de passages enchevêtrés, un amas de baraques bringuebalantes dont on se demande comment elles tiennent debout, des égouts ou canalisations bricolés à ciel ouvert, une foule d’habitants compacte, grouillante. Les quartiers les plus pauvres de France n’ont plus l’air pauvre à côté d’un tel endroit qui ressemble aux campements de SDF ou à nos squats multipliés par mille.
Et la caméra de Mendoza se faufile dans ce dédale avec une agilité de lynx, une précision de regard qui nous instruisent. Mais attention ! Nulle trace de misérabilisme ici. Mendoza filme avec vivacité des gens qui ont le sourire, qui se bougent et vaquent à leurs occupations quotidiennes avec énergie, tout un petit peuple pauvre mais vivant, actif, en mouvement, n’ayant manifestement pas de temps à perdre pour se plaindre, ni de goût pour pleurer sur son sort.
Au milieu de toute cette agitation, Thelma reçoit la visite d’une assistante sociale et l’on comprend alors que John John n’est pas son fils, et qu’elle prend soin d’enfants abandonnés avant leur adoption officielle. La journée va alors tirer vers le soir, et le film va changer de lieu, de registre, d’esthétique. Après le rythme endiablé d’un bidonville bouillonnant, la plage de calme feutré et luxueux d’un grand hôtel. D’un filmage à l’épaule et en mouvement perpétuel, on passe à des plans plus posés, plus statiques. Changements de tempo et de style qui secrètent leur propre charge politique, synchrone avec le scénario : Thelma est venue là pour remettre John John à la famille américaine qui va l’adopter – et pour toucher son maigre salaire de nourrice. Peu de dialogues pendant cette transaction terrible, la violence de la situation et des contrastes de la mise en scène suffisent.
Le registre réaliste populaire évoquant Rossellini, Pasolini, Buñuel, Brocka laisse place à un mélodrame politique aussi pudique que bouleversant, qui n’est pas sans rappeler Chaplin. Sans slogan ni didactisme, avec juste des douleurs muettes et des non-dits qui en disent long, Mendoza parvient à une dénonciation aussi subtile que féroce des injustices de notre monde. John John est une claque d’une grande douceur à l’impact néanmoins net et sans bavure.
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