Un conte vériste sur l’enfance afghane, peuplé d’enfants non-acteurs épatants.
Dans l’Afghanistan d’aujourd’hui, une petite fille illettrée, armée d’un cahier, se met en tête d’aller à l’école coûte que coûte. Dans la famille iranienne Makhmalbaf, après le père (Mohsen) et la fille (Samira), voici donc l’autre fille (Hana). Qui choisit, comme sa sœur Samira (A cinq heures de l’après-midi), le contexte afghan pour livrer un conte vériste : il y a des enfants joueurs – le mot “jeu” est a double sens dans le film – et le vérisme lo-fi des cavernes habitées. Et sous la surface, un legs de violence laissée par les talibans et les Américains. Hana Makhmalbaf développe cette dernière idée comme une allégorie, pas très pertinente dans le titre original du film (“Bouddha s’est effondré de honte”), et illustré comme il se doit en intro et conclusion par les images d’archives des bouddhas afghans dynamités.
On dirait les serre-livres lourdingues d’un pensum didactique, forme avec laquelle les deux sœurs Makhmalbaf ne sont pas très a l’aise. Non, si l’allégorie fonctionne, c’est grâce aux enfants (presque) acteurs. La réalisatrice parvient à tirer de ces gamins (et en particulier de l’héroïne) – qui, pour la plupart, n’ont pas la notion de cinéma ou de médium – une grande fraîcheur à l’écran. Où les enfants joueraient la comédie, le jeu, et joueraient tout court. Ce qui donne des moments franchement glaçants où, sur le chemin de l’école de l’héroïne, des garçons l’attendent en embuscade pour jouer à tuer (“à faire les Américains traquant les terroristes”). Dans ces instants, tout semble pouvoir basculer, et même la mort “pour faire semblant”, purement symbolique, a quelque chose de très fort, grâce a la “virginité” artistique de ces gamins.
Si bien sûr, la route vers l’éducation – où le cahier se voit déchirer ses pages comme une peau de chagrin en guise de carte –, et donc l’émancipation de l’héroïne, sont au cœur du film, Makhmalbaf piège suffisamment le sujet. Rien n’y est évident, et Le Cahier ne fait pas que la promo des cahiers de vacances. Un enfant y récite ainsi inlassablement l’alphabet sans vraiment saisir sa portée, tel Sisyphe s’entrainant pour être candidat à Motus.
Grand moment tragicomique : l’héroïne se glisse dans une salle de classe sans y être inscrite, cherche un siège et, en guise de crayon, a apporté le rouge à lèvres de sa mère. Qui devient un outil burlesque de subversion de la routine scolaire. Cette séquence désarmante cristallise en un éclair les espoirs et les doutes de la jeunesse d’un pays où tout est à (re)faire, loin des chromos world-food des Cerfs-volants de Kaboul.