Film collectif d’Apichatpong Weerasethakul, Vicente Ferraz, Ayisha Abraham,
Wang Bing, Pedro Costa, Chantal Akerman.
Cet Etat du monde, présenté à la Quinzaine des réalisateurs l’année dernière à Cannes, n’échappe pas au piège des films collectifs : l’inégalité. Mais l’on ne saurait traiter par le mépris une œuvre où se trouvent rassemblés, l’instant d’un film, quatre des plus grands cinéastes de notre temps. Les courts les plus réussis sont finalement ceux qui – au moins en apparence – se sont le plus éloignés du sujet, cet “état du monde” un brin plombant sur le papier (on dirait un sujet de concours d’entrée à la Fémis).
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Elle n’est guère joyeuse, gaie, l’image que nous renvoient du monde ces artistes visuels ou visionnaires.
Le film débute pourtant par une étrange douceur avec “Luminous People”, un documentaire (?) réalisé par Apichatpong Weerasethakul : une famille descend le Mékong sur un bateau pour y déverser les cendres d’un défunt. Le bruit du moteur domine d’abord le film, puis dans une deuxième partie, une fois que le bateau est passé sous un pont en béton, les êtres se mettent à parler, chanter, pleurer, rire même parfois : les vivants viennent à notre rencontre…
Avec “Germano”, le metteur en scène brésilien Vicente Ferraz (auteur d’un documentaire sur l’histoire du film de propagande soviétique des années 1960 sur Cuba, Soy Cuba) réalise le film le plus faible de l’ensemble, très didactique et maladroit.
La réalisatrice Ayisha Abraham, avec le simplissime mais beau “One way”, parvient, elle, en revanche, à englober le monde entier dans le récit d’un Népalais descendu de ses montagnes pour devenir gardien d’immeuble sur le plateau de Deccan : c’est toute l’histoire et les espoirs de l’immigration humaine qui sont ici résumés – survivre en paix.
Le Chinois Wang Bing, l’auteur d’A l’ouest des rails en personne, passe cette fois-ci à la fiction : dans des usines en ruine, des gens sont torturés. Autant l’avouer, la première vision de “Brutality Factory”, en mai dernier, nous laissa un peu sceptique : pourquoi ce jeu factice des acteurs ? Mais une deuxième vision nous rasséréna : tout ceci n’est que stylisation, ces bourreaux et victimes sont en réalité des fantômes du passé de la Chine, revenus hanter les restes rouillés de son industrie. Cela dit, on attend toujours la sortie en France du magnifique documentaire de Wang Bing présenté lui aussi à Cannes en 2007, mais cette fois-ci dans le cadre du festival officiel, hors compétition : Chronique d’une femme chinoise… un chef-d’œuvre !
Pedro Costa, quant à lui, au fil de ces longs plans fixes dont il est coutumier, évoque le Cap-Vert, ses superstitions, mais aussi la colonie pénale destinée aux prisonniers politiques que le Portugal avait créée sur l’île de Santiago en 1936, et qui donne son nom à son film, “Tarrafal”.
Le dernier film, magistral, beau de simplicité, est intitulé sobrement “Tombée de la nuit sur Shangai”. Il est signé Chantal Akerman. Son long dernier plan fixe (il dure dix minutes) donne à lui seul tout son sens à L’Etat du monde, ce film de fantômes et de fantasmes : les images que l’on voit défiler sur les buildings de Shanghai, la musique qui les accompagne, sont bel et bien celles de notre monde actuel, ici et maintenant, où tous les éléments de la culture mondiale sont devenus un spectacle permanent, à la fois plaisants et purs objets commerciaux.
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