Une fable argentine sur la télévision transposée dans l’univers du muet. Une belle réussite plastique.
Resitué dans son cadre référentiel par son distributeur français, Télépolis, dont le titre original est La Antena, rappelle bien sûr beaucoup Metropolis de Fritz Lang. Il en duplique même un plan célèbre (la métamorphose de la femme-robot, entourée de cercles lumineux). Pourtant, on pense d’abord au second degré complexe du Canadien Guy Maddin en découvrant cet étonnant film argentin, qui emploie avec brio l’esthétique du cinéma muet des années 1920, pour évoquer à la fois notre époque, les années 1940 et les années 1970. Il parle de notre époque car il exprime de façon saisissante l’emprise chronique de la télévision sur les esprits (un magnat omnipotent, M. Télé, manipule le peuple de son pays par le biais du petit écran). On pense aussi à 1984, fable d’Orwell sur le fascisme avec son Big Brother stalinien… Quant aux années 1970 dont il est question, ce sont celles de la répression sanglante en Argentine, sous la botte de Videla et de sa junte militaire. D’où la métaphore centrale du film, très belle car elle joue sur les paradoxes du muet avec les moyens du parlant, consistant à littéralement priver de voix les citoyens, qui ne s’expriment que par des sous-titres à géométrie variable. Seule exception : la chanteuse sans visage nommée La Voix, qui est à la merci du dictatorial M. Télé. Mais dans ce conte libertaire codifié – tant par son sujet que par sa stylisation impeccable –, le design, les décors oniriques (montagnes de papier journal), l’atmosphère (neige, nuit), les références intégrées au récit (de Méliès à Lang), les étranges et poétiques héros de mélo (femme sans visage, enfant sans yeux, etc.) sont presque (trop) parfaits. Le sujet est consensuel, la forme archisoignée. Il manque un peu des dissonances, des anachronismes, de la transgression pour que Sapir puisse supplanter Guy Maddin. Sapir est plus proche de Tim Burton, dont les obsessions décoratives finissent souvent par tenir lieu de contenu. Cela dit, on aura toujours un faible pour les artisans délicats et cultivés.