Un brillant polar tricéphale réunit sous la forme du cadavre exquis trois maîtres du polar hong-kongais old school.
Un instant on se croirait revenu dix ou quinze ans en arrière, à l’époque désormais lointaine des Full Alert et City on Fire de Ringo Lam, de Rock’n’roll Cop de Kirk Wong, de Loving You de Johnnie To. Ce temps où le cinéma de Hong-Kong écrasait le reste de la concurrence asiatique de ses néopolars noirs d’une élégance souveraine qui, à force d’embardées fulgurantes et inquiètes, dessinaient histoire et géographie contemporaines d’une colonie britannique sur le point de repasser à la Chine. Paré de ces atours, Triangle aurait pu n’être qu’une blague pour initiés, un agréable pastiche de polar à la mode ancienne fabriqué entre amis spécialistes du genre – sur le principe d’un film en forme de cadavre exquis, il revenait à Tsui Hark d’ouvrir le récit, avant que Ringo Lam le poursuive et que Johnnie To apporte un terme à cette histoire tricéphale où se croisent et se défont l’amitié et la fortune, à la suite de la découverte d’un trésor caché dans un sous-sol oublié de Hong-Kong. Or, le réalisateur de The Blade ne pose pas les fondations du film, il les pulvérise à sa splendide manière, et en abandonne les débris débordants de possibles à ses partenaires, auxquels il ne reste plus alors qu’à entreprendre d’apaiser la forme du film et concevoir quelque habile développement qui en prolonge le récit, cela chacun avec les moyens propres de son cinéma. A cette association de talents, on doit l’attelage composite et remarquable d’un regard sur Hong-Kong au présent et des atours du polar old school tel que le pratiquait Ringo Lam avant de se perdre à Hollywood. Parcouru successivement par une multitude de vitesses, du désir exalté de vélocité de Tsui Hark au maniérisme extrêmement malin de Johnnie To via l’action toute de générosité et de tenue conjointes selon Ringo Lam, Triangle adopte ainsi une forme vieillie pour mieux la travailler en profondeur, saisir ce qui en elle a encore prise sur le présent et en tirer le meilleur – façon de faire qui a valeur de manifeste.
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Entre les trois cinéastes, chacun a traversé différemment la crise du cinéma de Hong-Kong post-rétrocession à la Chine. Si Johnnie To y incarne aujourd’hui plus que jamais le génie des cinéastes de sa génération à domestiquer le principe de l’industrie à un talent et une créativité, Ringo Lam était, avant ce projet, réduit au silence depuis plusieurs années, tandis que Tsui Hark œuvrait en ancien seigneur devenu marginal en son propre royaume. Entouré à Cannes de ses amis et partenaires, ce dernier nous expliquait la chose en initiateur du projet : “Nous réunir autour de ce projet sans qu’il ait été question de fondre nos styles respectifs pour uniformiser l’ensemble revenait à réunir nos propositions pour le cinéma de Hong-Kong, et montrer une direction qui serait la nôtre aux cinéastes de là-bas. Nous n’avons pas la nostalgie de notre carrière passée. Je considère mes films comme mes petites amies : c’est toujours celui qui est en cours que je préfère.”
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