Valeria Bruni Tedeschi se met à nu et emporte avec elle cette comédie bourrée de talent(s).
Des angoisses intimes et profondes transformées en situations hilarantes, c’est le principe de cette comédie très réussie – et de la comédie en général. Comment retourner une dépression en création vivace, comment utiliser ce qui plombe l’existence en carburant vital ? Réponses dans Actrices, le faux jumeau de Faut que ça danse !, l’optimisation et la maturation de tout ce qui était joliment en germe dans Il est plus facile pour un chameau…, le cousin féminin et franco-italien des comédies névrotiques de Woody Allen. Le centre de cette nouvelle tragicomédie est Marcelline, comédienne complètement flippée à l’idée de jouer Anna Petrovna dans Un mois à la campagne de Tourgueniev, une femme de 40 ans célibataire totalement rongée par la quête du “prince charmant” et la question du compte à rebours biologique de la maternité. Marcelline est en partie Valeria Bruni Tedeschi, avec qui elle partage le même corps, le même métier, la même maman (excellente Marisa Borini, la vraie mère de Valeria) et la même absence d’enfant, mais elle est aussi sa projection fictive, une exagération fantasmatique d’elle-même. Valeria/Marcelline est la dynamo, le réacteur principal de cette centrale d’affects, le personnage qui impulse au film son énergie, son rythme, ses sautes d’humeur, son grand huit cyclothymique. Valeria Bruni Tedeschi donne beaucoup d’elle-même ici, se met presque totalement à poil, et ce mélange de narcissisme et de générosité dénudée, de courage à exposer ses zones vulnérables et d’abattage à les dépasser est aussi impressionnant qu’admirable. Mais Valeria n’est pas seule ici, elle s’est remarquablement bien entourée, et son potentiel de clown triste s’exprime à fond en relation avec d’autres personnages, d’autres corps, d’autres intensités de jeu (Amalric, Lvovsky, Garrel grand-père et petit-fils : c’est un casting assez fabuleux qui se déploie ici). Parmi de multiples moments intenses, on retient deux crêtes anthologiques sur des mères déchaînées : une dispute entre Marcelline et sa génitrice qui monte qui monte jusqu’à atteindre des sommets de violence et d’hilarité mêlées, et une engueulade avec sa copine Nathalie (géniale Noémie Lvovsky) dont elle avait “emprunté” le nourrisson pour lui donner le sein. Plutôt qu’une comédie sur les actrices, Actrices est une forme d’autoportrait qui parle des femmes de 40 ans : désir et angoisse de la maternité, recherche de la pérennité amoureuse, quête et manque du père-phallus, interrogations sur ce qu’est être une femme accomplie (enfanter est-il obligatoire dans ce processus ?). Sur le cinéma de Bruni Tedeschi, on a parfois entendu le reproche de classe : petites angoisses sans importance de fille riche et gâtée. Accuserait-on Woody Allen de ne pas être un prolétaire ou de scruter essentiellement la bourgeoisie ? La bonne fortune personnelle interdit-elle de souffrir ou de créer ? Questions un peu ridicules.
Actrices est enceint de talent, dans l’écriture, la mise en scène, le jeu des acteurs… Comme chez Woody, en partant de questionnements intimes mais universels, Bruni Tedeschi signe à l’arrivée un film drôle, triste, vif, habité, qui parle de toutes les femmes à toutes les femmes… et à tous les hommes.
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