Après Paul Haggis et en attendant De Palma, le vétéran Redford nous présente sa vision cinéma de la guerre américaine contre le terrorisme, un film surprenant, pas nécessairement au bon sens du terme. Structuré en classique montage alterné, Lions et agneaux présente trois histoires se déroulant au même moment : deux soldats américains isolés et […]
Après Paul Haggis et en attendant De Palma, le vétéran Redford nous présente sa vision cinéma de la guerre américaine contre le terrorisme, un film surprenant, pas nécessairement au bon sens du terme. Structuré en classique montage alterné, Lions et agneaux présente trois histoires se déroulant au même moment : deux soldats américains isolés et blessés dans la neige des montagnes afghanes suite à une opération qui a mal tourné ; un dialogue entre un prof d’université de gauche et son étudiant favori sur les formes d’engagement dans la vie adulte (incidemment, les deux bidasses furent aussi ses étudiants et se sont engagés dans l’armée contre son avis) ; un autre dialogue entre un sénateur républicain tendance neocon aux ambitions présidentielles et une journaliste de gauche chevronnée travaillant pour un network.
Ce qui surprend, c’est qu’un film de studio hollywoodien soit constitué aux trois quarts de dialogues en champ/contre-champ filmés sans éclat particulier. Ou que la partie “action” du film, le volet afghan, soit aussi cheap, statique, peu crédible, avec ses montagnes en carton-pâte, son unique hélicoptère et son cliché des deux potes de régiment qui s’entraident en situation de survie. Surprenant aussi, la façon dont Redford se filme en caricature de lui-même, avec visage parcheminé d’ancien beau éclairé plein pot et, en bouche, le sermon interminable d’un ancien combattant de gauche moralisateur.
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Quant à la partie Cruise/Streep, elle indique que l’Amérique, sa presse éclairée, son cinéma semblent découvrir aujourd’hui ce que l’opinion mondiale en général et française en particulier connaissaient depuis le prélude à la guerre en Irak, à savoir les mensonges de l’administration Bush servant de prétexte à déclencher l’invasion, et la façon dont les médias américains ont troqué l’essence de leur métier contre un alignement cynique sur l’opinion majoritaire et sur la courbe d’Audimat (ce qui a changé depuis, au moins en ce qui concerne la presse écrite, qui s’est bien réveillée). Politiquement, et bien que positionné à gauche, ce film est confondant de naïveté, réelle ou feinte. Redford entendait peut-être faire passer un message efficace en direction de l’Amérique profonde, mais il aurait surtout fallu faire un meilleur film, parce que cinématographiquement Lions et agneaux est plat comme un débat télévisé ORTF mélangé à un film d’action SFP des seventies.
Malgré tout, deux éléments se détachent et méritent presque le déplacement. D’abord, les écrans informatiques du QG militaire qui font apparaître les soldats en perdition et les guerriers afghans comme des tâches brunes dans un jeu vidéo : on était informé de cette nouvelle forme de déréalisation de la guerre technologique, mais voir concrètement cette désincarnation de la guerre “propre” produit un indéniable et glaçant effet. Ensuite, Tom Cruise le scientologue montre une fois de plus qu’il est un immense acteur, et dans un film anti-Bush, ce qui n’est pas rien. Le voir faire son numéro de politicien madré, roublard, cynique (jeu à double fond de l’acteur et du personnage) constitue un spectacle assez jubilatoire et injecte un peu d’énergie et d’électricité dans ce film, le sauvant de l’insignifiance.
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