La fédération PS du Pas-de-Calais a attaqué Les Inrockuptibles en diffamation pour une enquête parue en décembre. Mercredi, le procès a duré sept heures.
Carré brun plongeant et blouson de cuir sur sa robe écossaise, Catherine Génisson, la soixantaine, se tord les doigts sur le banc en attendant le début de l’audience. La première secrétaire du Parti socialiste dans le Pas-de-Calais a assigné Les Inrocks en diffamation.
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L’objet de sa plainte : l’enquête de Benoît Collombat et David Servenay, publiée le 7 décembre, sous le titre “La bombe judiciaire qui menace le PS” et sujet de Une. Dans cet article, le PS du Pas-de-Calais a surligné de larges passages, qu’elle estime diffamatoires à son égard.
Accusés de complicité, les deux journalistes sont venus à l’audience. Ils n’allaient pas rater ça. Collombat, impassible, regarde droit devant lui. Servenay se retourne, fixe tous ceux qui passent à la barre, comme s’il allait écrire un papier sur eux dès sa sortie de la 17e chambre.
Il y a un risque quand on attaque en diffamation. Voir disséquer, en public, son honneur et sa morale pour examiner si quelqu’un y a porté atteinte, ce n’est jamais une partie de plaisir. Pour trancher, le tribunal a besoin de contexte, d’explications sur le fonctionnement du PS dans le Pas-de-Calais. Et ce mercredi, ça a duré sept heures.
A la barre, Gérard Dalongeville. L’ancien maire d’Hénin-Beaumont dénonce un financement occulte du PS du Pas-de-Calais dans son livre, Rose Mafia. En passe d’être attaqué lui aussi, il vient témoigner en faveur des Inrocks :
“Il faut chercher d’où viennent les dons. Si je suis poursuivi pour mon livre, on sortira les chèques adressés à la fédé, le détail des versements en espèces à l’association départementale de financement du PS, des notes internes.”
L’enquête de nos deux collègues ne porte pas spécialement sur le financement de la fédération PS, mais sur un système. Elle raconte le racket des entreprises dans le cadre de marchés publics, la multiplication des sociétés d’économie mixte dirigées par des élus socialistes, les enquêtes judiciaires en cours. Et cite, entre guillemets, des témoignages affirmant qu’une partie de l’argent détourné sert à financer le PS. Aucune des personnes mises en cause et citées nommément n’a contesté ni attaqué l’article.
Catherine Génisson insiste sur “l’étanchéité” entre son parti et les affaires en cours :
“Le financement est totalement transparent et provient de trois sources : les cotisations des militants, les cotisations des élus et la péréquation fournie par le PS au niveau national. […] Je suis particulièrement surprise qu’il n’y ait pas eu d’interpellation, euh, d’interview, de moi-même ou du trésorier de la fédération.”
David Servenay se défend :
“Mme Génisson nous a été décrite comme une ‘potiche’ par un éléphant anonyme du PS. Il parlait de la différence entre le pouvoir formel et le pouvoir réel, qui s’appuie sur des modes de fonctionnement parallèles. Dans cette seigneurie, la fédération PS est un petit castelet.”
Les journalistes ont contacté toutes les personnes citées dans leur article, et d’autres. Avec lettre recommandée et accusé de réception.
Juste après l’article des Inrockuptibles, le Parti socialiste a mis en place une commission d’enquête, pour faire la lumière sur le fonctionnement de la fédération du Pas-de-Calais. Après avoir auditionné des responsables socialistes du département, elle devrait rendre ses conclusions avant l’été. Martine Aubry a gelé l’investiture de Jean-Pierre Kucheida dans la 12e circonscription du Pas-de-Calais pour les législatives de juin.
Yves Baudelot, avocat de la fédération PS, demande 50 000 euros aux Inrocks, la dépublication de l’article et la publication de trois extraits de jugement. De son côté, Léa Forestier et Basile Ader, avocats des Inrocks, soulignent le sérieux de l’enquête et “l’extrême prudence” de l’expression. Ils rappellent que les révélations contenues dans l’article, reprises dans toute la presse, n’ont pas été attaquées ailleurs. “Les Inrocks sont poursuivis pour lèse-majesté”, conclut Me Forestier. Le jugement sera rendu le 9 mai.
Camille Polloni
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