C’est presque cuit : la loi sur la « protection de l’identité », ouvrant la voie à un fichier de 65 millions de Français, devrait être votée ce mardi. Voici quelques solutions sérieuses et fantaisistes pour s’en prémunir.
Quand le rapporteur (apparenté UMP) d’une proposition de loi au Sénat qualifie lui-même un texte de « bombe à retardement pour les libertés publiques« , on se gratte la tête. Il n’y a donc pas que le Sénat socialiste, la Cnil et la Ligue des droits de l’homme qui s’inquiètent de ce « fichier des gens honnêtes »?
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Le projet de loi « sur la protection de l’identité » devrait être adopté définitivement ce mardi. Au nom de la lutte contre l’usurpation d’identité, il crée un fichier central biométrique, alimenté à partir des nouvelles cartes d’identité « sécurisées ». La police pourra l’exploiter pour certaines enquêtes. Un fichier conçu pour des raisons administratives va donc se transformer en outil policier. Comment s’y opposer ?
1) Vivre sans carte d’identité
La carte nationale d’identité n’est pas obligatoire. Elle ne l’a été que de 1940 à 1955. Une loi du régime de Vichy obligeait tous les hommes et femmes âgés de plus de 16 ans à détenir une “carte d’identité de Français”. La mesure perdure quelques années après la Seconde Guerre mondiale, mais depuis 1955, la carte d’identité est à nouveau facultative.
Pour justifier de son identité au quotidien, en cas de contrôle de police par exemple, tout citoyen peut montrer un document avec son nom : son permis de conduire, son passeport, “une autre pièce (document d’état civil indiquant la filiation, livret militaire, carte d’électeur ou carte vitale), voire un témoignage”. Il est également possible de voter en présentant d’autres documents que la carte d’identité.
Pourtant, la carte d’identité est régulièrement réclamée dans les démarches de la vie courante, rappelle le chercheur Pierre Piazza, maître de conférence en sciences politiques :
“Bien souvent lorsque vous souhaitez faire un chèque dans une grande surface, ouvrir un compte en banque ou vous inscrire dans une bibliothèque, on vous demande votre carte d’identité. A priori, un passeport peut faire l’affaire, mais il comporte, lui aussi, des données biométriques.”
Et ces données atterriront dans le même fichier central, dit “des gens honnêtes”, que celles de la carte d’identité. Pour Jean-Claude Vitran, le “Monsieur Fichiers” de la Ligue des droits de l’homme, le passeport ne représente donc pas une alternative sérieuse à l’usage de la carte d’identité. Contrairement au permis de conduire.
“On ne peut pas vous refuser la présentation du permis de conduire. Sauf quand il s’agit de se déplacer à l’étranger.”
C’est toute l’hypocrisie du caractère “facultatif” de la carte d’identité et du passeport : sans eux, presque tout reste possible, à condition d’insister, sauf… sortir de France. Par ailleurs, Jean-Claude Vitran émet l’hypothèse que le permis de conduire pourrait comporter des données biométriques d’ici quelques années, qui termineraient dans le même fichier.
2) Conserver une carte d’identité périmée
Même périmée, la carte d’identité permet à son titulaire de justifier de son identité sur le territoire national, à condition que la photographie soit ressemblante.
La stratégie devient plus hasardeuse dès lors qu’il s’agit de passer une frontière. Même dans l’espace Schengen, les justificatifs d’identité sont censés être en cours de validité.
3) Renouveler sa carte avant l’entrée en vigueur de la loi
Et la garder dix ans, sans se retrouver dans le “fichier des gens honnêtes”. Une carte d’identité valide permet de voyager dans tous les pays de l’Union européenne. Seul problème : difficile de prévoir quand la loi entrera en vigueur.
4) Compter sur le Conseil constitutionnel
Une fois votée, la loi doit recevoir des décrets d’application qui précisent sa mise en œuvre. Sur ce point, Jean-Claude Vitran se montre plutôt optimiste :
“Il y a de grandes chances pour que le Conseil constitutionnel soit saisi, par 60 députés ou 60 sénateurs. La loi présente une certaine “illégitimité” : notamment à cause de la double finalité de la puce électronique, régulière et commerciale. Même la Cnil a émis des réserves. Le temps de contester la loi et d’obtenir la réponse du Conseil constitutionnel laisserait un répit. On imagine difficilement que la loi soit promulguée avant les élections présidentielle et législatives.”
“Ça peut être très long, et rien ne dit que le prochain président de la République, quel qu’il soit, prendra les décrets d’application”, renchérit Pierre Piazza.
Rappelons qu’un simple citoyen peut également saisir le Conseil constitutionnel depuis la réforme de 2008, à l’occasion d’un procès.
5) Contester
Manifester, écrire aux députés et sénateurs, pétitionner, organiser des conférences, préparer des recours devant diverses instances (Conseil d’Etat, Conseil constitutionnel, CEDH, Défenseur des droits, etc.).
6) Avoir recours à la procédure d’urgence
En cas de raisons familiales ou professionnelles particulières, un particulier peut demander à bénéficier d’un passeport d’urgence pour pouvoir quitter le territoire rapidement. Valable un an, il ne comporte pas de puce. Et peut faire office de pièce d’identité temporaire.
7) Usurper un état-civil
Bon, ce n’est pas une solution recommandée, mais elle pointe le paradoxe de la réforme : si les titres d’identité, passeport comme carte d’identité, sont de plus en plus “sécurisés”, les documents qui permettent de les obtenir n’ont pas changé.
La nouvelle faille se trouvera donc au niveau d’en dessous : justificatifs de domicile, actes de naissance, livrets de famille. Il suffit d’usurper l’identité d’une personne ne figurant pas encore dans le fichier, ou de demander la carte à partir d’une identité fictive, pour obtenir une vraie-fausse carte.
Jean-Marc Manach, journaliste qui a beaucoup travaillé sur le “fichier des gens honnêtes”, y a déjà réfléchi :
“Avec cette technique, il serait possible de mener deux vies. Je me ferais appeler Jean-Marc Manach dans la vie quotidienne. Mes vraies empreintes seraient dans le fichier, mais sous une autre identité, sécurisée et certifiée. Ce serait un concept intéressant de performance d’artiste. Et il n’est pas exclu que ça devienne génial pour les sans-papiers.”
Camille Polloni
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