Derrière le romantisme noir du mythe suicidaire Ian Curtis, le portrait prosaïque, parfois cocasse, souvent touchant, d’une personne.
“Ni un film rock ni un film sur Joy Division”, prévient Anton Corbijn sur la scène de l’UGC-Ciné Cité Les Halles. S’éloigner de la mythologie débraillée du film rock et de la comptabilité sourcilleuse du biopic pour ne filmer que l’attachement immodéré que l’on peut avoir pour un chanteur, cet attachement qui anime chaque plan d’une vibration tout à la fois fervente et étonnée. Voilà le programme. Aimer Joy Division et vouloir filmer cet amour, c’est alors aménager un effet de miroir tant l’admiration du fan et le motif rythmique-existentiel du groupe se confondent au sein d’une même figure : la “transe transie”. Cette noce harmonieuse aurait pu donner un film où l’amour du spectateur aurait soutenu le malheur du chanteur, comme un effet de reconnaissance mutuelle protégeant, en retour, cette communauté des agressions du monde. Mais là n’est pas le programme. Ici se pose une question décourageante : comment filmer un groupe de rock en 2007, alors même qu’une certaine manière stylistique – alliance de noir et blanc bien cadrés, longues mèches, corps longilignes et regards fiers – est kidnappée depuis quelques années par les gens de la mode ? Que reste-t-il au cinéma lorsque l’arrogance adolescente, posture essentielle de la figure rock, est devenue à son corps défendant une marque de fabrique moyenne couture ? Il lui reste les deux facettes du rock qui, trop éloignées de l’immédiate séduction, n’intéresseront jamais la mode : l’effroi et le ridicule. Effroi de Ian Curtis devant les sommations de la vie et le pouvoir térébrant de ses chansons, noires couleuvres lâchées dans la nature. Ridicule aussi du chanteur – la plus cachée et la plus profonde des composantes de la figure rock –, présent ici lors des scènes de danse, cette danse de moineau affolé qui lance l’un contre l’autre l’aveu de faiblesse et la parade héroïque. Réussir à faire un film sur un groupe rock en 2007, c’est quitter l’assentiment pour l’insolence, c’est mettre en scène un système de contrastes qui interdira la joliesse arty. Grande réussite à cet égard du personnage du manager Rob Gretton, mixte de débrouillardise et de dévotion porté par la vitalité myope de l’acteur Toby Kebbell, ou de la perruque à favoris de Tony Wilson qui rompt l’homogénéité classieuse des plans, ou de ce contrechamp incongru, lorsque Ian Curtis regarde à la télévision des cow-boys qui viennent bousculer sa noire humeur, comme était déjà bousculée la noire humeur de Kurt Cobain par un clip r’n’b dans Last Days de Gus Van Sant : belle idée que de troubler une trajectoire suicidaire par une rencontre facétieuse et d’en renforcer ainsi, par cette indifférence consentie de part et d’autre, l’inexorabilité. Quelques paysages pastoraux, aussi profondément anglais que les fumées industrielles à la Bill Douglas, viennent adoucir cette insolence salutaire. Shirley Collins, la voix folk du pays, pourrait surgir là et poser sa main sur la joue hâve de Ian Curtis.
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