Un ado timide rencontre une jeune prostituée énergique pendant sa fugue. Un univers libre de tout regard culpabilisant.
On retrouve dans Charly les préoccupations thématiques et formelles de Demi-tarif, le premier long d’Isild Le Besco : enfants coupés des adultes, morceaux de vies autonomes précoces, caméra légère et souvent portée – un goût d’enfance sauvage, le parfum à la fois enivrant et risqué de la liberté, le charme « amateur » des films de famille.
Les enfants de Charly sont quand même un peu plus grands que ceux de Demi-tarif puisque le protagoniste principal, Nicolas, doit faire ses 14 ou 15 ans. Il vit (et s’ennuie un peu) chez ses grands-parents (ou une famille d’accueil ?). Il a l’air d’y être aimé mais il y a en lui une blessure filiale non dite mais hautement probable qui lui donne des envies de bougeotte. Un soir, il s’échappe du domicile pour rejoindre en stop Belle île dont une carte postale le fascine. De même qu’elle regardait les gosses de Demi-tarif sans jugement moral, Isild Le Besco filme cette fugue en douceur, esquivant le regard éventuellement culpabilisant de la société : pas de plan sur les grands-parents affolés, pas de scène de police à la recherche du gamin. Le film prend réellement son envol quand Nicolas rencontre Charly, une jeune prostituée qui vit dans une caravane à la lisière du monde. Charly est jouée par une Julie-Marie Parmentier extraordinaire. Le corps sec comme une trique, le visage crispé, buté,, mue par une agitation perpétuelle, bavarde comme une pie, s’exprimant dans un français vernaculaire de son cru, maniaque du rangement, Charly/Marie-Julie compose une figure incroyable d’énergie et de singularité, une femme-ado qui règne sur son petit univers comme une dame de fer, façon hautement personnelle et autonome de transcender sa médiocre condition sociale. L’hystérie comme refuge, moyen de sauver le peu que l’on possède. Face à elle, Nicolas oppose sa timidité, son introversion avachie, un calme presque léthargique. Les deux fonctionnent comme un duo quasi-comique, façon punkette sous amphètes contre chaussette sous valium. Plutôt que dévoiler l’issue de leur relation et du petit voyage initiatique de Nicolas, on s’attardera sur un détail-fil rouge du cinéma de Le Besco : les lèvres charnues, ourlées, en passe de devenir un logo de la famille Belkhodja aussi identifiable que la langue tirée des Stones. On avait découvert cette bouche sensuelle chez Catherine Belkhodja dans le Level 5 de Chris Marker, puis chez ses filles Isild et Maiwen. C’est maintenant au tour d’Isild cinéaste de passer le relais et de nous faire découvrir les bouches immédiatement reconnaissables de son petit frère Kolia Litscher (Nicolas)… et de son grand-père Kadour Belkhodja (le « père » de Nicolas) ! Une façon comme une autre de signer ce cinéma très familial et autobiographique.