Photographe régulier des Inrocks, de Libé, de Télérama, Jérôme Brézillon vient de raccrocher définitivement ses objectifs. Saloperie de la loterie de la santé. Il excellait dans le portrait, mais son terrain de prédilection était les paysages, urbains ou naturels. On se souvient de ses séries sur Paris à l’aube, Dubaï côté chantiers, et surtout de […]
Photographe régulier des Inrocks, de Libé, de Télérama, Jérôme Brézillon vient de raccrocher définitivement ses objectifs. Saloperie de la loterie de la santé.
Il excellait dans le portrait, mais son terrain de prédilection était les paysages, urbains ou naturels. On se souvient de ses séries sur Paris à l’aube, Dubaï côté chantiers, et surtout de son regard précieux et inlassable sur l’inépuisable territoire américain. Il avait shooté les banlieues désolées, la frontière mexicaine, les derniers bluesmen parcheminés du deep south, les pénitenciers dans le cadre d’une collaboration au documentaire de Solveig Anspach sur la peine de mort, Made in USA.
A titre plus personnel, je n’oublierai jamais son reportage dans le New Jersey sur les traces des lieux clés de Bruce Springsteen. Pendant trois jours, pour Les Inrocks, nous avions sillonné le Sud de l’Etat de Asbury Park à Freehold, et Jérôme m’avait impressionné par son laconisme eastwoodien, sa patience de sioux dans l’exercice des repérages, son professionnalisme sans faille.
Il se levait deux heures avant moi juste pour aller humer à l’aube les lieux qu’il allait shooter, réfléchissait de longues minutes avant de placer son appareil ou de déclencher la prise. Sur le rivage de la ville fantôme d’Asbury Park, un surprenant brouillard avait bien aidé à la belle gueule d’atmosphère du reportage, mais il revenait au mérite du seul Brézillon d’avoir su saisir un dalmatien qui courrait sur les planches de la promenade ou un groupe de gosses qui jouaient sur la plage déserte.
Ces jours-là, j’avais appris que la photo, ce n’est pas juste clic-clac Kodak, mais un art d’attente, d’observation et d’imprégnation. Sans qu’il le sache ou qu’il le veuille (trop humble pour cela), il m’avait donné une leçon de patience et de journalisme. Les silences parlants de Jérôme Brézillon me manqueront, son œil acéré et généreux restera grâce à son travail.
Serge Kaganski