En devenant un phénomène de société, le mouvement Anonymous a largement gagné en popularité auprès du grand public. Fait symptomatique de cette notoriété, le monde de la nuit s’empare désormais des codes du mouvement pour promouvoir ses soirées. Ou comment clubber masqué, entre opportunisme et militantisme.
Tout comme les soirées à thème “Homme d’affaire et soubrette” s’étaient multipliées après l’affaire DSK, c’est désormais au tour d’Anonymous d’être récupéré par le monde de la nuit. Le phénomène est d’actualité, et désormais suffisamment connu pour fédérer, même en soirée.
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• Les opportunistes
“J’ai organisé pas mal de soirées à thème depuis deux, trois ans pour arrondir mes fins de mois”, explique Tristan Chaillou, étudiant à EDC la Défense. Le jeune homme connaît ses classiques sur le bout des doigts, mais il avoue qu’il est parfois difficile de se renouveler. « En général, quand on surfe sur l’actu, ça marche plutôt bien », constate-t-il. C’est pourquoi il a choisi le thème Anonymous pour sa dernière soirée.
Pas vraiment d’intérêt pour l’essence du mouvement cependant : la plus-value est ailleurs. Car si les codes du collectif de hackers sont repris, c’est pour mieux les détourner, les organisateurs se débarrassent souvent en grande partie de l’aspect militant pour se contenter d’utiliser un costume et un masque devenus populaires. Leurs messages ont en commun de reprendre le ton (voix numériquement déformée) et le vocable Anonymous, pour demander “la libération de la fête”.
Ainsi, pour le teaser de sa soirée, le Mix Club n’hésite pas à jouer à fond la carte de la grandiloquence pour un résultat franchement décalé. Les prétendues « revendications » de l’Anonymous masqué mandaté par le club n’évitent d’ailleurs aucun cliché. « Nous militons pour le bien-fondé des événements parisiens. Nous craignons de voir à l’avenir l’augmentation de soirées de boloss. Nous sommes blancs, noirs, jeunes et stylés. Nous revendiquons de faire la fête comme il se doit. »
Le phénomène a d’ailleurs pris une ampleur internationale. Dans cette vidéo, des DJ de la région de Stuttgart en Allemagne, lancent eux aussi une invitation aux fêtards en reprenant le ton des communiqués Anonymous : “Nous sommes les Anonymous allemands, nous célébrons la première Anonymous party au Milchbar. Nous disons non à la censure, non au contrôle, oui aux Anonymous.” Preuve de l’engagement des organisateurs : les photos de la soirée seront téléchargeables gratuitement… à condition de consommer, bien sûr.
Entre esprit rebelle et envie de se défoncer sans limites, le monde de la nuit a flairé le potentiel du mouvement hacker pour promouvoir ses soirées… et les rentabiliser. Mais parce qu’il joue sur des idées que revendiquent aussi les fêtards – liberté, rejet des carcans quotidiens – le mouvement anonymous semble finalement particulièrement soluble dans le monde de la nuit.
• Les militants
Certains organisateurs voient pourtant dans leurs soirées un moyen d’informer les participants sur le mouvement. Une manière de faire la fête en s’instruisant sur l’hacktivisme. L’association des jeunes gays lesbiennes bi et trans parisiens, le MAG, s’est saisi du thème lors de sa dernière soirée pour faire passer quelques idées. A l’entrée du vestiaire, des tracts renseignaient les participants sur le traité ACTA et les invitaient à se rendre à la manifestation du lendemain.
Le succès de l’opération est, il est vrai, resté assez limité. Mais l’association, qui vise un public de jeunes en quête de réponses sur leur orientation sexuelle, n’avait pas non plus choisi le thème du masque au hasard. En le détournant pour servir une revendication sexuelle cette fois. “C’est un accessoire qui me parle. En le portant je peux être moi même, sans peur”, sourit un des jeunes participants. C’est surtout l’idée de pouvoir se révéler tout en se protégeant derrière un certain anonymat qui les a séduits. Mais les masques de Guy Fawkes étaient très rares : peu nombreux sont ceux qui avaient fait le lien avec le mouvement anonymous en voyant l’affiche de la soirée.
A Nice, le collectif apolitique Génération étudiante, qui aide à l’orientation et à l’insertion professionnelle des étudiants, a également choisi l’emblème anonymous pour sa dernière soirée. Pour Josselin Guarnelli, le président de l’association, c’est un symbole fort.
“Anonymous est un collectif sans nom, et l’anonymat est représentatif du monde étudiant à l’université actuellement. Pour certains, ‘Anonymous est la première super-conscience construite à l’aide de l’Internet’, nous avons pour vocation d’être plus simplement une conscience construite par les étudiants pour les étudiants”, indique le communiqué de l’association.
C’est aussi le thème qui a été retenu par le pôle festif et culturel de l’association pour animer sa dernière soirée, à la demande d’une majorité de ses membres. “Pour certains, il s’agit seulement d’un thème de soirée bien sûr”, indique Josselin Guarnelli. “Mais pour la plupart, ce groupe d’hacktivistes représente une véritable forme d’expression de liberté, ce qui explique sa prégnance et son attachement à une vision du libre-arbitre que l’on avait presque oublié…” résume-t-il. Le masque blanc est devenu un terrain vierge sur lequel chacun vient finalement apposer ses propres revendications. Y compris celle de se vider la tête en dansant.
Liza Fabbian
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