Un chaudron de sorcière où Shimizu met avec brio le cinéma fantastique en crise.
Dans un sens, la trilogie nipponne en cours – Kurosawa, Nakata, Shimizu – est représentative de courants assez divers à l’intérieur du cinéma de fantômes, vieille spécialité venue du kabuki. Si avec Rétribution, Kurosawa représente en quelque sorte l’avant-garde arty, et si Nakata renoue avec la tradition en tentant de ressusciter le film de spectres en costumes (Kaidan), Shimizu, qui a été un des pionniers du renouveau du genre avec sa série The Grudge (Ju-On), est le plus foutraque. Il concocte avec Réincarnation une sorte de melting-pot infernal évoquant et invoquant pêle-mêle le cinéma de zombies de Romero, Shining de Kubrick, Le Voyeur de Powell, voire annonçant Inland Empire de Lynch.
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Un thriller complètement azimuté où le cinéma est mis en abyme à la puissance deux, puisqu’il y est question du tournage d’un film recréant l’assassinat des occupants d’un hôtel par un dingue qui filmait lui-même ses méfaits. Les qualités de cette œuvre, où une poule ne retrouverait pas ses petits (une des héroïnes, actrice, semble être tantôt la réincarnation du criminel et tantôt celle de sa fillette qu’il a assassinée), sont le contraire de celles de Rétribution, œuvre dissonante mais sobre, d’une extrême pureté, où le trouble naît de la tension suggérée par la lenteur et la longueur des plans, par l’indécision du héros énigmatique, par le caractère atmosphérique du danger.
Dans Réincarnation l’angoisse provient de la fusion des sous-genres et de leur catapultage. Il y a non seulement une imbrication parfaite entre le cinéma de revenants et celui de morts vivants (quand les victimes de l’hôtel se réveillent de leur léthargie mortelle), mais aussi un parallèle inspiré entre présent – la recréation fictive des événements horribles de l’hôtel – et passé, figuré par le film d’amateur, snuff-movie en 8 mm tourné par le criminel et visionné par un des personnages. D’où la beauté terrifiante des séquences du tournage du film dans le film, où, par le biais du morphing, on effectue de constants allers et retours entre la réalité actuelle et l’enfer fantasmatique du crime, vingt ans plus tôt. Manière de montrer comment la fiction et la réalité peuvent se contaminer mutuellement, ou même se phagocyter.
Takashi Shimizu est une sorte de caméléon, de vampire (à l’instar du personnage du père criminel), qui régurgite tous les sous-genres fantastiques en les réagençant de façon très puissante. Ce n’est pas un styliste comme Kurosawa et Nakata. Ce n’est pas le plus policé ni le plus élégant des trois cinéastes, mais sans doute celui qui met le mieux le genre en crise en jouant au bonneteau avec ses codes.
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