L’association Survivors UK lance une grande campagne de sensibilisation invitant les hommes victimes de viol à parler à l’occasion du tournoi des Six Nations. C’est la première campagne de cette envergure dans ce pays. En France, le viol des hommes reste un tabou et il n’existe aucune association leur venant spécifiquement en aide.
C’est une campagne de pub comme les britanniques en ont le secret. Frappante et sans détour, placardée grand format dans les rues de Londres. Elle a fait son apparition dans le métro la semaine dernière, pour coïncider avec le tournoi de rugby des Six nations.
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Les supporters n’ont pas pu l’ignorer, affichée sur deux panneaux géants à Clapham Junction et sur un immense écran publicitaire à Waterloo station – deux passages obligés vers le stade de Twickenham où se jouent les matchs à domicile de l’équipe anglaise de rugby. L’image qui devait particulièrement retenir leur attention représente un ballon de rugby percé d’un clou, au dessus duquel on peut lire:
« Les vrais hommes se font violer… et en parler demande une vraie force. »
Clichés et préjugés
Avec cette campagne, l’association Survivors UK, qui vient en aide aux hommes victimes d’agressions sexuelles a choisi de s’attaquer à deux tabous: celui du viol et celui de l’homosexualité. Car les hommes abusés sexuellement ne le sont presque jamais par des femmes, mais bien par des hommes – hétérosexuels dans leur grande majorité.
“La question de l’homosexualité est centrale quand on parle du viol des hommes” pour Michael May, responsable de la petite structure associative. “Les hommes sont censés être forts et capables de se défendre par leurs propres moyens. Lorsqu’ils sont victimes d’un viol, ils se sentent humiliés et ont peur d’être « pris pour des homosexuels ». C’est aussi pour ça que les victimes masculines parlent moins.”
En visant particulièrement les fans de rugby et en jouant sur des mécanismes homophobes, l’association n’a pas hésité à user de clichés (l’homophobie dans le sport, l’idée de « vrai homme ») pour appuyer sa critique de certains préjugés. Michael May revendique ce parti pris, qui n’a rien de paradoxal à ses yeux:
« On voulait une campagne sans détours, et l’image virile du rugby correspondait bien à notre volonté de combattre les présupposés sur l’identité des hommes victimes de viol. Un joueur de rugby de 90 kg peut se faire violer, comme un banquier ou un chef de gang.”
Michael May insiste: il est faux de penser que les homosexuels sont plus victimes d’abus que les hétérosexuels. Même s’il est vrai que débarrassés des clichés hétéro-normés, ceux-ci hésitent moins à porter plainte.
Un phénomène difficile à quantifier
Cette campagne fait suite à une étude récente de la Metropolitan police – la police londonienne – qui révèle qu’à Londres, un homme est victime d’une agression sexuelle toutes les heures en moyenne. Par ailleurs, seules 11 % des victimes finissent par déposer une plainte, selon le gouvernement britannique. Michael May estime donc qu’il y aurait eu 8 500 hommes victimes d’agressions sexuelles à Londres entre 2009 et 2010 – loin des 945 plaintes enregistrées par la police sur cette même période.
Difficile pourtant de se faire une idée précise du nombre réel d’agressions, car si le phénomène est fréquent, il est généralement tu. Or, les témoignages constituent l’unique source dont disposent les chercheurs pour évaluer la proportion de personnes ayant été victimes d’agressions sexuelles au cours de leur vie.
Dans une étude sur les violences sexuelles en France, publiée en 2008, les chercheurs Michel Bozon et Nathalie Bajos (également auteurs de Contexte de la sexualité en France) indiquent pour leur part que 16% des femmes et 5 % des hommes déclarent avoir subi des rapports forcés ou des tentatives de rapports forcés au cours de leur vie. Pour la très grande majorité des hommes, lorsqu’ils étaient enfants ou adolescents.
Pas d’écoute spécifique en France
Une seule certitude: les hommes ont beaucoup plus de mal que les femmes à aborder la question. Selon la même étude, seuls 0,6% des hommes portent plainte, contre 4% des femmes. Cette disparité est accentuée par “le manque d’information, qui s’accompagne d’une absence de mobilisation sociale sur ce thème en France”, selon Michel Bozon.
Et les faits parlent d’eux-même: alors qu’en Grande Bretagne, on dénombre cinq associations qui prennent spécifiquement en charge les hommes ayant été victimes d’abus sexuels, en France, il n’en existe aucune.
Pourtant, “c’est quand il y a des structures de soutien adaptées et légitimes que des catégories se révèlent”, ainsi que le souligne une responsable du Collectif féministe contre le viol (CFCV), la principale association d’aide aux victimes d’abus sexuels en France. Depuis 1986, ses bénévoles reçoivent chaque année des milliers de témoignages, parmis lesquels de nombreux émanant d’hommes. “Ceux-ci représentent de 10 à 15% des appels”, indique-t-on à l’association.
Beaucoup de ces victimes ont été redirigées vers cette ligne après s’être adressé à des associations de lutte contre l’homophobie ou d’information sur le Sida. La responsable interrogée salue l’initiative britannique, avec mesure:
“Ça fait des années que nous pensons que les hommes devraient s’organiser sur le sujet. Nous, nous sommes un collectif de femmes qui viennent en aide aux femmes. C’est un énorme travail, et nous n’avons pas les moyens de traiter spécifiquement les témoignages masculins.”
Elle poursuit avec une pointe d’ironie lasse dans la voix : “Mais il faut relativiser les choses: les femmes victimes de viols sont tellement plus nombreuses ! Et là aussi, on n’en est qu’au tout début de la prise de conscience. ”
Liza Fabbian
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