Le dernier grand cinéaste italien, Marco Bellocchio, en
retour de flamme avec une comédie empreinte d’humour, de poésie et de désir.
Un réalisateur célèbre, Franco Elica (Sergio Castellitto), est affligé par le mariage de sa fille avec un catholique fervent. Il doit porter à l’écran une énième adaptation du célèbre roman Les Fiancés (I promessi sposi), d’Alessandro Manzoni, chef-d’œuvre de la littérature italienne, sans que le projet n’éveille en lui de réel enthousiasme. Son angoisse est accentuée par la découverte d’un scandale sexuel qui pourrait lui tomber dessus à tout moment. Il décide de prendre la fuite et se retrouve au fin fond de la Sicile. Il y rencontre un collègue, vidéaste sans talent qui gagne sa vie en filmant des mariages. Un aristocrate ruiné (Sami Frey, ici prince sicilien grâce à la magie des coproductions et du doublage) propose au cinéaste en villégiature de mettre en scène les noces de sa fille avec un riche héritier de la région. Mais Elica va tomber amoureux de la belle jeune femme (Donatella Finocchiaro), et tenter par tous les moyens d’empêcher ce mariage arrangé qui lui fait horreur.
Le Metteur en scène de mariages est un film dissonant, aussi bien par son style et sa forme que par sa situation dans l’œuvre de Bellocchio. S’il entretient avec ce nouveau long métrage les préoccupations et les thèmes de ses précédents films, et plus particulièrement Le Sourire de ma mère – dans les deux cas Sergio Castellitto y interprète un artiste à la recherche de sa place dans une vaste mascarade sociale –, Bellocchio semble s’éloigner des grands sujets politiques fréquents dans sa filmographie. Le ton adopté, par sa dimension farcesque, satirique et parfois grotesque, semble amorcer un rapprochement du cinéma de Bellocchio avec la fameuse tradition de la comédie italienne, et sa galerie de personnages et de situations caricaturales.
Or Bellocchio est loin de partager les préceptes moraux et esthétiques des grands ténors de la comédie italienne et ne souhaite pas réanimer ce courant désormais moribond. Il s’agit pour lui de rester fidèle à des idées qu’il met en scène depuis plusieurs films (notamment la question de la représentation et de l’interprétation du monde par l’art et la culture) tout en se permettant une certaine licence, des folies qui sont celles des cinéastes en pleine possession de leurs moyens.
La rigueur de la démonstration de Bellocchio et la complexe subtilité de la mise en abyme organisée par le cinéaste autour du roman de Manzoni sont sans cesse dynamitées par des gags et des intrigues annexes (le vieux réalisateur aigri se fait passer pour mort afin de récolter enfin plusieurs nominations aux “César” italiens). La construction du film, qui s’autorise de discrètes incartades oniriques, brouille les pistes ou accueille le plus naturellement du monde les anomalies les plus saugrenues (une course en sac dans un couloir, une caméra miniature dissimulée dans la doublure d’une veste), n’est pas sans évoquer le surréalisme ludique de Buñuel.
Bellocchio n’est plus le jeune intellectuel enragé qui exterminait une famille entière dès son premier film, Les Poings dans les poches, et pilonnait l’armée, l’école ou l’Eglise dans des films-brûlots. Mais la saine colère du cinéaste à l’encontre des grandes structures aliénantes est toujours là, et s’exprime désormais par l’humour, la poésie, et surtout un formidable désir, moteur véritable de la révolte dionysiaque du héros de Bellocchio – personnage éteint soudain rallumé par la beauté et l’ardeur de la jeune princesse et qui va peu à peu retrouver la jouissance dans l’amour, et vice versa. On a entendu dire que l’Italie avait cessé de penser le jour de la mort de Pasolini, et ce n’est pas tout à fait vrai : un cinéaste comme Bellocchio est encore là pour empêcher de filmer en rond, pour extirper d’un pays en crise des histoires morales et vivantes plutôt que des sujets de lamentations.