Pour sauver leur aciérie de Florange, des salariés d’ArcelorMittal interpellent les présidentiables depuis leur QG : les bureaux occupés de la direction. Reportage.
En Moselle, des ouvriers ne se battent pas pour gagner plus, mais pour ne plus travailler moins. Depuis le début de l’année, environ la moitié des salariés de l’aciérie de Florange ont été mis au chômage partiel. Il y a quinze jours, le directeur de l’usine annonce que l’arrêt du dernier haut-fourneau sera prolongé. L’étincelle. Ulcérés, les employés forment une intersyndicale (CFDT, CGT, FO, CFECGC) et, lundi 20 février, s’emparent des bureaux de la direction.
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Huit heures du matin, le surlendemain. Yves Fabbri, délégué CGT de Florange, se présente avec un gilet par-dessus son cuir marron et un casque sur la tête, floqués aux couleurs du syndicat. Nous le suivons jusqu’à l’entrée bloquée par une cinquantaine de salariés.
“Tout a débuté lors d’une réunion prétendument informelle, le 13 février, dit Yves Fabbri en marchant. Notre directeur Thierry Renaudin nous a annoncé que l’arrêt du haut-fourneau, le dernier des trois qui fonctionnait encore en 2011, était prolongé jusqu’à juin. Notre inquiétude, c’est qu’il ne redémarre jamais.”
Une radio rappelle à l’assemblée que la veille, lors d’une visite du site d’Alstom en Charente-Maritime, Nicolas Sarkozy a déclaré : “On fera tout pour que Florange rouvre.” Un employé s’énerve : “Nous ne sommes même pas fermés, juste au ralenti.”
Après le chômage partiel, le chômage tout court ?
L’usine de Florange compte 5 000 salariés. Depuis le début de l’année, 2 600 d’entre eux ont été mis au chômage partiel. S’y ajoutent les employés des quelque 160 entreprises sous-traitantes. Parmi eux, certains ont été “sommés de poser leurs RTT en retard, nous glisse un maçon dont l’entreprise réalisait jusqu’à 60 % de son chiffre d’affaires avec ArcelorMittal. Chez nous ensuite, il n’y aura pas de chômage partiel mais du chômage tout court.”
En fin de semaine dernière, campagne présidentielle oblige, deux prétendants à la magistrature suprême – François Hollande (PS) et Nicolas Dupont-Aignan (Debout la République) – sont venus donner de la voix à Florange. Sur le toit d’une camionnette CFDT, le candidat socialiste s’est engagé. En tant que député de Corrèze, sans attendre les élections, il va déposer une loi prévoyant que “quand une grande firme ne veut plus d’une unité de production, elle soit obligée de la céder à un repreneur”, afin qu’elle ne soit pas “démantelée”.
Deux cents mètres après le premier rassemblement de gilets, orange pour la CFDT, rouges pour la CGT, le syndicaliste Yves Fabbri lève sa main gauche amputée du pouce “arraché dans un haut-fourneau”. Il pointe le centre névralgique de la lutte : les bureaux. Sorte de gigantesque barre HLM grise aux stores bleus.
“Avant, ici, tu avais le centre européen d’ArcelorMittal. Aujourd’hui, une partie des bureaux ont été délocalisés en Inde et en Pologne.”
Dans le hall du bâtiment, sur un grand tableau soviétisant qui immortalise le “60e anniversaire du site de Florange 1948-2008”, une banderole peinte à la bombe verte a été ajoutée : “La maison des salariés”. En charge du standard téléphonique et de l’accueil, deux collègues embauchées en 1973 et 1974 relativisent la situation. “Moi, j’ai déjà connu des restructurations et perdu trois fois ma place”, prévient l’une d’elles. Désormais, ”comme pour 90 % du bâtiment”, le chômage partiel fait débuter leur week-end le jeudi soir.
Nous empruntons l’escalier. Sur les onze étages du mastodonte, seul un modeste couloir du premier étage est occupé : celui dévolu en temps normal à la direction. “On a mis au chômage technique nos dirigeants, ironise Edouard Martin, délégué CFDT, le syndicat majoritaire sur le site. De toute façon, les directeurs ne sont pas des directeurs, ce sont des facteurs. Le véritable siège de décision, il est là où est Lakshmi Mittal (le grand patron indien du groupe ArcelorMittal – ndlr) : à Londres !”
Un SOS en lettre rouge en réponse à un arrêt « provisoire »
Au-dessous de la petite plaque en aluminium “T. Renaudin” indiquant le nom et le bureau fermé à clé du directeur, une caricature de Lakshmi Mittal en costard-cravate a été scotchée. En arrière-plan du dessin, on aperçoit l’usine et, sur une petite montagne, un “SOS” rouge. Ce message de détresse se dresse réellement à deux kilomètres de là, aux côtés de la statue de la vierge d’Hayange qui domine les hauts-fourneaux de l’usine et la petite vallée de la Fensch. Lumineuses et mesurant plus de trois mètres de haut, les trois lettres ont été scellées dans le métal et le béton par les salariés de Florange, en septembre dernier. Ils ont ainsi réagi à la toute première annonce de l’arrêt “provisoire” du haut-fourneau.
Au bout du couloir, la salle de réunion de la direction avec ses sièges en cuir noir sert de base arrière. Les salariés y débattent, boivent le café, lisent et commentent les articles du jour sur leurs actions. Si le combat s’éternise, quelques jeunes rêvent même d’installer dans cette salle une PlayStation 3. L’heure du déjeuner arrive. Devant la barre HLM bleue et grise, un barbecue a été installé. “Hé, ho !, s’il vous plaît, une seconde d’attention, crie entre ses mains en porte-voix Edouard Martin. Les gars des espaces verts nous ont apporté des baguettes pour nous soutenir.”
Les deux hommes avec leurs sacs de pain se font instantanément applaudir. Pour les steaks et les saucisses, c’est l’entreprise locale Vigros qui a régalé. Un sandwich en main, une responsable de la logistique des livraisons détaille les raisons de sa présence.
“On les soutient mais, comme tout le monde, on ne veut pas perturber le fonctionnement de l’usine. Du coup, on descend tour à tour, pendant le déjeuner ou les pauses clopes.”
L’après-midi, l’air se rafraîchissant, nous remontons dans la salle de réunion “et non du CE (comité d’entreprise – ndlr) comme l’a écrit un crétin de journaliste”, marmonne un ouvrier. Sont également présents quelques employés de Gandrange. Devant cette autre aciérie située à dix kilomètres, une stèle de marbre avait été posée par la CFDT – puis dérobée. Sur la plaque, on lisait : “Ici reposent les promesses de N. Sarkozy faites le 4 février 2008 : ‘Avec ou sans Mittal, l’Etat investira dans Gandrange’.”
Le site employait alors mille salariés. Aujourd’hui, il n’en compte plus que trois cents. Que pensent les ouvriers de Gandrange de l’actuel chef de l’Etat ? “Le pire du pire”, nous glisse un délégué syndical venu soutenir “les” Florange. Avant d’ajouter, tout seul, que “le vote pour Marine Le Pen est un faux débat”. Autour de la longue table en bois, une journaliste de l’émission C dans l’air demande si tous les candidats à la présidentielle seront les bienvenus ici. “Tous sauf une !”, crie un salarié. Le syndicaliste Edouard Martin précise :
“La politique de Marine Le Pen nous ferait crever de facto : 70 % de notre production part à l’étranger. Nos clients, ce sont Mercedes, Ford, Subaru, Toyota. C’est français, ça ?”
Geoffrey Le Guilcher
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