Sortie (inespérée) en salle de trois films du documentariste arménien Artavazd Pelechian, qui transforme le monde en symphonie concrète.
Les maîtres du cinéma se reconnaissent souvent – ce n’est pas une règle absolue – à la consision de leur oeuvre. Tati, Tarkovski, Bresson, Dreyer, Kubrick ont peu tourné. Artavazd Pelechian, un des deux grands cinéastes arméniens avec Sergueï Paradjanov, est un cas extrême car la totalité de sa filmographie excède à peine la durée d’un long métrage courant (moins de trois heures). Depuis ses premiers films d’étude au VGIK en 1964, il n’a réalisé que des courts et moyens métrages. Son projet de long, Homo Sapiens, est resté lettre morte. Pour la première fois, on peut découvrir en salle certains de ses films les plus connus : Nous (1969), Les Saisons (1975), Notre siècle (1983). Pratiquant un cinéma sonore dénué de paroles, Pelechian est avant tout un virtuose du montage. Il en a renouvelé l’art en travaillant sur le rythme comme un musicien : plans répétés, accélérés, ralentis, figés. L’ensemble finit par produire un effet hypnotique. Nous, Les Saisons et Notre siècle sont des symphonies concrètes, comme on parle de musique concrète. C’est-à-dire qu’elles sont constituées d’éléments réels et non de symboles abstraits. Entre les mains du cinéaste, les images et les plans d’hommes, d’animaux, de choses, de nature deviennent un matériau malléable et ductile. Dans Nous, des images de foule, d’enterrements, de montagnes et d’explosions alternent. Le tout étant orchestré de façon cyclique et obsessionnelle. Comme si le peuple était constamment agi par des forces telluriques. Dans Les Saisons, le même principe s’applique à des paysans que l’on voit inlassablement dévaler des montagnes, des torrents ou des champs de neige, avec ou sans leurs moutons, sur une musique de Vivaldi. Notre siècle, pot pourri sur la conquête de l’espace et les moyens de transport modernes, est un maelström mécanique, où le cinéaste enchevêtre victoires et catastrophes, éruptions solaires et décollages, explosions et célébrations. Il accompagne toujours de musique guillerette les pires désastres (crashs aériens, collisions ferroviaires, etc.), y compris le champignon atomique – comme Kubrick dans Docteur Folamour –, spectacle le plus cruel et beau créé par l’humanité. Au-delà de la morale et de toute considération idéologique, politique, voire esthétique, usant et abusant de ce qu’il appelle “montage à distance” (alternatif et cyclique), qui interdit toute narration classique, Pelechian élabore un métalangage impressionniste et obsessionnel. Il semble vouloir exprimer le mouvement de la vie plus que la vie elle-même, voire tenter de décrire la structure électronique et atomique de l’univers. La poésie cosmique de Pelechian n’a pas d’équivalent.
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