Dans une débauche de kitsch et de Grand-Guignol, Forman dévoile sans ambages son style farcesque.
L’Espagne à la fin du XVIIIe siècle. Francisco Goya (Stellan Skarsgård), peintre officiel de la Cour, publie des recueils de gravures (les fameux Caprices) dont la crudité ne plaît guère au Saint-Office. Le frère Lorenzo (Javier Bardem, dont le visage ressemble de plus en plus à un masque) est chargé par son cardinal (Michael Lonsdale, condamné à vie à jouer les prélats) de redonner un nouveau souffle à l’Inquisition…
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Inès (Natalie Portman), la fille d’un riche marchand, incarnation de l’idéal pictural féminin de Goya, en est la première victime : elle est embastillée pour hérésie. Pour la venger, son père (qui ignore encore que Lorenzo l’a violée) contraint sous la torture le moine à se ridiculiser. Lorenzo, alors désavoué par ses supérieurs, fuit à l’étranger.
Quelques années après, lorsque les troupes napoléoniennes envahissent et occupent l’Espagne, Lorenzo, défroqué, devenu notable de l’Empire, revient régler ses comptes. Il semble que Les Fantômes de Goya, le premier film de Milos Forman depuis le formidable Man on the Moon, ait été très mal accueilli partout dans le monde après sa sortie en Espagne en novembre de l’année dernière.
Curieuse réaction pour un film effectivement étrange, grotesque et baroque, mais totalement dans le style de Forman. Certes, le scénario du film (écrit par Jean-Claude Carrière, qui a dû se souvenir que le premier script jamais écrit par Buñuel, en 1928, était consacré à Goya – même si les deux histoires n’ont rien en commun) est abracadabrant. On le croirait tiré d’un bon gros roman populaire historique à la couverture hideuse comme il s’en vend par flopées : invraisemblable, assumant sans vergogne les codes (et excès) romanesques (coïncidences, mélange de personnages réels et de personnages fictifs, drame, sexe, sang, coups de théâtre foireux, etc.).
Mais Griffith a fait de grands films, Dumas de grands romans avec des histoires aussi idiotes. Certes, le personnage de Goya est également très caricatural. Mais c’était déjà le cas du Mozart d’Amadeus. En réalité, le film est d’une grande cohérence, puisque la mise en scène de Forman est au diapason du scénario : toute de kitsch, maniant le Grand-Guignol avec une belle énergie. Goya + Carrière + Forman + le visage très élastique de Bardem : nous sommes chez Bosch, Goya, Ensor, ces peintres qui déforment les corps pour en révéler l’animalité.
Il y a par ailleurs dans ce film délirant quelques scènes magnifiques et jubilatoires. Deux exemples : celle où Javier Bardem est lui-même soumis à la question par le père de sa victime qui tient à démontrer que la torture peut tout faire avouer, ou encore celle où le roi Charles IV, mécontent du tableau représentant la reine que Goya vient de peindre, force ce dernier à l’écouter jouer du violon (atrocement).
Volontairement grotesque, bouffon, politique (se moquant des renversements ironiques de l’histoire), Les Fantômes de Goya est un film certes étrange, hors mode (on dirait qu’il a été tourné dans les années 80), donc peu gracieux, mais aussi celui où Forman dévoile le plus, tout cru, sans le lisser, son style farcesque.
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