Julien Temple contemple presque quarante années du mythique et mystique festival anglais de Glastonbury, des idéaux hippies aux années bobos.
En Angleterre, c’est une folie qui commence dès janvier, avant même l’annonce officielle de la programmation : par quel plan obtiendra-t-on un billet pour le festival de Glastonbury, qui se prononce alors “Glasto” avec beaucoup d’angoisse dans la voix. Pendant tout le mois de juin, plus encore que le temps qu’il fera sur Wimbledon, c’est la météo de ces lointaines provinces de l’ouest qui affole l’Angleterre : sera-ce un Glastonbury avec boue ou avec torrents et lacs ? Le magazine NME tient ainsi un bon mois en faisant monter la pression sur l’affiche, les spéculations – en profitant pour fourguer des pages de publicité à des marchands de bottes en caoutchouc (accessoire de mode indispensable de Glasto, porté même en jupe rase-mottes lamée par Kate Moss) ou de tentes imperméables à la mousson. La pluie, comme les embouteillages inouïs, font ainsi partie de ce rituel immuable de la culture anglaise, où l’on vient en famille, où l’on démarre des familles. La programmation est finalement assez accessoire pour les adultes, délaissant le devant des scènes à leur progéniture : on vient à Glastonbury pour se laver de ses péchés capitalistes, pour se racheter une virginité bohème, pour expurger ses trahisons aux idéaux adolescents – en pèlerinage, finalement, comme tant d’autres sur ces terres presque saintes depuis deux mille ans. Glasto a ainsi fait d’un paysan las des terres mystiques du Somerset un des hommes les plus courtisés du music-business anglais : Michael Eavis, barbu en Massey Ferguson, a ainsi eu l’idée saugrenue de tromper son ennui provincial en créant, modestement, son festival rural et hippie en 1970. Trente-sept ans plus tard, Glasto accueillait récemment près de 200 000 personnes pour le dernier week-end de juin, qui rime ici avec joint. C’est cette épopée, d’un rêve hippie aux raves happy que raconte le passionnant documentaire de Julien Temple, infatigable documentaliste et documentariste du rock anglais. “Je viens ici pour être enfin moi-même”, jure en début de film un agent d’assurance, résumant assez parfaitement cette autorisation à l’abandon, à l’excentricité brimée que reste Glasto pour ses disciples. Car hormis le gigantisme, les miradors de sécurité et les punks à chiens, rien n’a vraiment changé en quatre décennies dans ce vaste rituel libératoire, dans ces champs où les spectateurs comptent plus que les spectacles : on y vit avec la même démesure et la même naïveté les excès et outrances dont sont capables les Anglais dès qu’ils sont autorisés – que ce soit par l’alcool, la drogue ou la musique – à ne plus être Anglais.
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