Quand Belmondo devient Bébel
Comment le corps conducteur qui change la face du cinéma français
en 60 devient, dans les années 70, la caricature de lui-même.
LES FILMS Dès le concours de sortie du
Conservatoire, en 1956, où Jean-Paul Belmondo
est porté en triomphe par ses coreligionnaires
pour protester contre le choix du jury de ne
lui accorder que des accessits
– scène primitive de la geste belmondienne
-, il est évident pour
tous ses amis (Jean-Pierre Marielle,
Jean Rochefort, ou Michel Beaune
et Pierre Vernier, qu’on retrouvera
souvent à ses côtés) que ce Belmondo
ne joue pas comme tout le
monde, et surtout pas comme eux : c’est le
premier acteur français (peut-être le seul) à
avoir jamais su courir (Jean Marais ne l’égale
pas) : il manifeste une aisance et une désinvolture
apparentes qui tranchent avec le côté
naturellement théâtral des acteurs français.
Belmondo, d’A bout de souffle à L’Homme de Rio
en passant par Pierrot le Fou, est un acteur
physique, comme il en existe encore aujourd’hui
peu en France.
Autre caractéristique, il possède une voix.
Certes, elle deviendra volontiers canardesque
avec l’âge, mais dans les années 60, quand il
la pose, quand il lit un texte, par exemple en
voix off, dans Pierrot le Fou ou Le Voleur de
Louis Malle (où il est admirable de sobriété,
presque figé, buté comme pourra l’être bien
plus tard un Lucas Belvaux), c’est magnifique.
Belmondo est donc un acteur qui possède à
la fois un corps et une voix, mais aussi et surtout,
comme le fit un jour remarquer Truffaut,
un acteur qui peut tout jouer en restant toujours
crédible : « Cette disponibilité est telle que
Jean-Paul pourrait même jouer un
homme aimé des femmes, un séducteur,
ou au contraire un homme rejeté
par elles et ces deux rôles contradictoires
il serait capable de les conduire
vers le drame ou vers la comédie. »
Le rôle à contre-emploi (un trentenaire
puceau) que Belmondo
tient dans La Sirène du Mississippi (1969) auprès
de Catherine Deneuve reste à cet égard
l’une de ses meilleures prestations. Philippe
de Broca joue admirablement de cette capacité
transformiste pour lui faire jouer, avec le
même succès, à la fois le rôle d’un écrivain
minable et d’un héros de roman de gare, Bob
Sinclar, dans le culte Magnifique (1973), et poussera
le bouchon encore un peu plus loin en lui
confiant le rôle d’un charmant mythomane à
visages multiples dans L’Incorrigible.
LES DVD Dans le coffret édité par Studio Canal,
on trouve un peu tout et n’importe quoi, la plupart
des films de la période la plus flamboyante
de Bébel du point de vue des entrées,
soit ce laps de quinze ans entre 1970 et 1985,
où il règne sur le cinéma français, attirant
chaque année autour de cinq millions de spectateurs
dans les salles. C’est aussi sa pire pé-
riode artistique, même s’il continue à jouer de
son ambivalence, entre « le flic et le voyou ».
Sans doute en partie à cause de Michel
Audiard, qui entraîne souvent dans son délire
régressif et vulgaire un Belmondo étrangement
passif. Dans Flic ou voyou, quand Belmondo,
flic machiste et franc-tireur, veut se
venger de ses adversaires, il les fout à poil… Il
ne manque que la bite au cirage… A partir de
1984/85, après Joyeuses Pâques de Georges
Lautner, le succès abandonne ces polars
produits à la chaîne. Belmondo se tourne vers
le théâtre, puis obtient un ultime triomphe au
cinéma avec Lelouch dans Itinéraire d’un enfant
gâté (son seul César, en 1989).
On peut en fait dater le tournant de sa carrière
à 1974, avec Stavisky d’Alain Resnais (où
la neige joue déjà un rôle fondamental…), qui
fut un échec. On assiste dans ce film à des passages
de témoin, entre Charles Boyer et Belmondo
d’une part, Belmondo et Depardieu
d’une autre, qui y tient un tout petit rôle auquel
le personnage de Stavisky, joué par Belmondo,
prodigue conseils et encouragements… Des
trois grands acteurs français, c’est le plus âgé
qui emporte le morceau dans ce film sur le suicide
: celui de la civilisation européenne des années
30 qui va une fois de plus se perdre dans
une guerre. Charles Boyer mettra fin à ses
jours quatre ans plus tard, Belmondo se lance
tête baissée dans le n’importe quoi, Depardieu
reprend le flambeau.
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COFFRET JEAN-PAUL BELMONDO Les Tricheurs (1958),
Un nommé La Rocca (1961), Le Magnifique (1973),
Stavisky (1974), L’Incorrigible (1975), Peur sur la ville
(1975), L’Alpagueur (1976), Le Corps de mon ennemi
(1976), Flic ou voyou (1979), Le Guignolo (1980),
Le Professionnel (1981), L’As des as (1982), Joyeuses
Pâques (1984), Le Marginal (1983), Le Solitaire (1987)
(Studio Canal, environ 92 €)
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