Quelques jours avant les César et les oscars, rencontre avec Michel Hazanavicius, réalisateur déjà comblé.
Sans même attendre les résultats des César et des oscars pour lesquels il est plusieurs fois cité, il est évident que The Artist de Michel Hazanavicius est le grand vainqueur du cinéma français de l’année 2011 en termes de reconnaissance sur le plan national et international. Après un bon accueil de la critique et du public, un prix d’interprétation à Cannes pour Jean Dujardin, trois Golden Globes, des prix de guildes américaines diverses (Directors Guild of America, etc.) et sept Baftas anglais, The Artist restera aussi comme le premier film français commercial à rencontrer le succès dans le circuit d’exploitation américain courant.
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Quelques jours après la saillie de son producteur Thomas Langmann contre notre journal ( » On emmerde Les Inrocks ») alors que nous avons toujours défendu le film, nous avons rencontré un Michel Hazanavicius fatigué mais très calme (lui) et comblé. A la fin de l’entretien, on lui a dit « Merde » pour lui porter chance aux oscars… Juré, on ne l’a pas fait exprès !
Le montage financier de The Artist fut difficile, semble-t-il…
Michel Hazanavicius – C’est un film dont personne ne voulait parce qu’il était muet et en noir et blanc. Je voulais faire un film populaire, accessible, simple, et ça a un prix. J’ai eu la chance de tomber sur Thomas Langmann qui a eu les épaules et le panache de mettre, de sa poche, l’argent qui manquait. Il a aussi réussi à débloquer des fonds : Canal+, France 3, Studio 37, la Warner. Les murs sont tombés les uns après les autres. Mais je dois avouer que le premier obstacle, c’était moi : il fallait que j’assume mon choix. Le film est resté à l’état de fantasme pendant près de douze ans. Quand j’en parlais, personne ne me prenait au sérieux. Grâce à OSS 117, j’ai acquis la confiance et « l’autorité » pour l’imposer.
On dit que le cinéma français se porte bien. Mais les énormes succès de 2011 (Intouchables, Rien à déclarer, Polisse, etc.) ne cachent-ils pas les difficultés à exister d’un cinéma plus modeste ?
En France, on tourne deux cents films par an. On explose tout le monde ! On a un cinéma très riche dans sa diversité, on finance aussi des films en Afrique ou en Asie. Personne d’autre ne le fait. Les petits films permettent l’éclosion de jeunes acteurs, de nouveaux réalisateurs. Je n’ai pas l’impression que notre cinéma soit sclérosé. Je ne dis pas que le système est parfait mais je crois qu’on a un cinéma assez vivant. Je suis mal placé pour dire le contraire.
A l’étranger, The Artist est-il reçu comme un représentant typique du cinéma français ou comme une exception ?
Je ne me suis jamais posé comme un représentant du cinéma français. Le CNC nous a refusé l’avance sur recettes pour des raisons qui m’ont paru fallacieuses. On est tous partis avec l’idée qu’on allait perdre de l’argent. Ensuite, soyons honnêtes : aux Etats-Unis, les gens disent qu’il n’y a qu’en France qu’on peut produire un film comme celui-ci… Une vision erronée, parce que sur le papier, c’est aussi difficile à faire ici que chez eux ! The Artist existe mais n’en demeure pas moins une exception. Déjà, les histoires de nationalité pour les êtres humains, ça me fait un peu chier. Alors pour le cinéma… Surtout pour un film qui est d’évidence d’inspiration plus américaine que française. Pour les étrangers, le cinéma français est un cinéma d’auteur plutôt parisien, plutôt issu de la Nouvelle Vague. Quand on ne colle pas à cette vision, on est invendable à l’étranger parce que les vendeurs ne savent plus où nous mettre.
N’est-ce pas aussi le succès cannois de The Artist qui l’a aidé à s’exporter ?
Pas du tout. Harvey Weinstein, le distributeur américain du film, l’a visionné et acheté avant Cannes. Il a tout de suite vu son potentiel commercial. Après coup, on se dit : oui, c’est évident parce que le film renvoie une image flatteuse d’Hollywood et des oscars, etc. Ce n’était pas calculé. En revanche, faire un film muet qui soit facile à exporter, c’était conscient, oui…
Vous voyez-vous metteur en scène à Hollywood ?
Sans problème. J’en ai à la fois l’envie et l’occasion : on me propose déjà des projets hallucinants et prestigieux. L’idéal serait de réaliser un western. La culture, la mythologie et la machine de cinéma américaines sont une tentation énorme pour un cinéaste comme moi. A Hollywood, tout est démesuré : le cinéma régit tant les rapports sociaux que c’en est presque trop. Les milieux du cinéma forment une vraie communauté. Quand vous rencontrez des stars planétaires, acteurs ou réalisateurs, ils vous parlent comme à un collègue. Vous êtes réalisateur avant tout. Et c’est ainsi que je me sens : réalisateur avant d’être français.
La campagne pour les oscars, à quoi ça ressemble ?
C’est un genre de promotion énorme. On passe surtout beaucoup de temps dans ce qu’ils appellent des « Q and A » : questions and answers, des rencontres avec le public. L’objectif d’Harvey Weinstein est simple : il veut gagner de l’argent. Mais avec un film muet en noir et blanc, comment faire ? On en est déjà à 22 millions de dollars de gain, ce qui est énorme pour un film français. Mais selon lui, on ne fera la bascule que si l’on gagne des oscars. Alors il montre le film à tout le monde, fait monter doucement l’exploitation pour avoir un gros pack de salles au moment des oscars.
Tout est fait pour convaincre les six mille votants de nous choisir, et surtout les acteurs, parce qu’ils sont mille à voter. C’est une pure opération de séduction. J’y ai pris un plaisir immense. Je continue d’avoir une attirance pour Hollywood. Je ne suis pas blasé. Et puis… (il hésite) je ne suis pas sûr d’avoir deux fois dans ma vie l’occasion d’avoir un oscar, vous savez !
Jean-Baptiste Morain
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