COFFRET ROBERT FLAHERTY
Nanouk l’esquimau (1922)
L’Homme d’Aran (1934)
The Land (1942)
Louisiana Story (1948)
(Editions Montparnasse, environ 35 €)
Les grands films du génie de la mise en scène
documentaire, Robert Flaherty.
LES FILMS Indispensables chaînons
manquants entre documentaire
et fiction, entre Lumière et Méliès,
entre le réel et sa reconstitution, ces
trois classiques de Robert Flaherty
(1884–1951), auxquels on a adjoint
le plus rare The Land, sont de petites
splendeurs. Non seulement parce
qu’ils révèlent des mondes, des peuples et des
traditions disparus, et qu’ils préfigurent l’écologie,
illustrant de façon éclatante la symbiose idéale entre
l’homme et son environnement (à part The Land,
qui montre le dérèglement de cet équilibre), mais
aussi parce qu’ils transcendent la narration, le récit,
le scénario, pour entrer de plain-pied dans la poésie.
Une poésie faite non pas de mots, mais de plans,
d’éclats de réel couchés directement sur la pellicule.
Nanouk, c’est l’enfance de l’homme, son combat
immémorial et élémentaire pour la survie. L’Homme
d’Aran, c’est une opposition éblouissante entre
un magma figé, le roc d’une île irlandaise, et un noir
magma sans cesse mouvant et plissé, la mer.
The Land, c’est le mythe de Sisyphe, ou comment
l’homme (l’agriculteur) détruit irrémédiablement ce
qui assure sa survie (la terre). Quant à Louisiana Story,
c’est presque une utopie : le rêve impossible et
naïf d’une cohabitation pacifique entre le monde
vivant (les bayous de Louisiane) et la machine
(les puits de pétrole).
LES DVD On est d’abord déçu de voir que cette édition
s’est faite à l’économie, utilisant en guise
de bonus de vieux documents au lieu
de proposer une analyse contemporaine du travail
de Flaherty. Mais on se ravise très vite en constatant
que la plupart de ces bonus sont des extraits
d’entretiens effectués en 1958 avec une personnalité
fascinante, Frances Flaherty. Proche collaboratrice
de son mari Robert, dont elle fut en quelque sorte
la Danièle Huillet, Frances explique le travail du
cinéaste avec une intelligence et une calme conviction
qui sidèrent. Extrêmement cultivée, férue de
philosophie, Frances Flaherty cite Platon, compare
de façon éclatante le début de Louisiana Story à
la poésie zen en déclamant des haïkus – ce qui n’était
pas à la portée de tout le monde en Occident en 1958.
Par comparaison, Flaherty lui-même, qu’on aperçoit
brièvement dans un bout d’entretien à propos du
tournage de L’Homme d’Aran, paraît plus ordinaire.
Mais il avait trouvé une vestale épatante. Elle aurait
d’ailleurs monté un film de quinze heures à partir des
rushes de Louisiana Story. Gageons que ce document
extraordinaire sera un jour exhumé.