Dans une épicerie de la banlieue
parisienne, le temps et les gens
passent.
Une chronique
documentaire très humaine.
Au-delà du pittoresque, au-delà du politiquement
correct, ce documentaire
sur l’épicerie de La Source – quartier
“sensible » d’Epinay-sur-Seine – tire sa
force d’avoir été tourné sur plusieurs
années dans ce lieu quasi unique. “J’ai rapidement
compris, explique Chantal Briet, que ce lieu
me donnerait la possibilité de poursuivre ma
quête : filmer le temps dans un lieu, filmer le temps
qui passe sur des êtres, des visages et sur leurs destinées. »
Filmer le temps est un luxe et une spécificité
du documentaire. On peut à la rigueur
tourner une fiction sur quelques saisons, très
rarement sur des années. Avec le documentaire,
c’est possible, voire courant. De cette façon, on
gagne en profondeur humaine, en amplitude.
La cinéaste ne respecte pas scrupuleusement
la chronologie, mais suit l’évolution des personnages
qui hantent l’épicerie du dynamique
et souriant Ali. Ce havre chaleureux, plus familial
qu’un café de quartier, sert de repaire à
des chômeurs, des retraités. Certains viennent
pour faire des emplettes, mais aussi pour papoter,
prendre un café, offert par la maison.
D’autres, tel Jamaa, un pilier de l’épicerie ferré
en littérature allemande, rendent de menus services
en échange de quelques sous.
Le temps qui s’écoule, on le perçoit non seulement
par le passage du franc à l’euro, mais
aussi par des changements dans la physionomie
des personnages, dans leur statut social. Le
talent de la cinéaste et de ses monteurs (Benoît
Alavoine et Nathalie Charles) réside dans leur
capacité à dessiner de vrais personnages, dont
les apparitions servent de jalons au film (l’épi
l’épicier
Ali, mais aussi Jamaa, Bertho, Rabbah,
Papi). Bien sûr, les choses sont parfois un peu
forcées sur un mode théâtral. On se doute qu’un
tel faisant un numéro de breakdance ou qu’un
groupe chantant a cappella dans la supérette
jouent pour la caméra. De même, la musiquette
qui ponctue les rituels du film accentue son
côté folklo. Mais la singularité des personnages
transcende ces réserves.
La cerise sur le gâteau, qui clôt élégamment le
film, c’est la transformation du magasin. Vétuste,
il est rénové, réinstallé. Séquence quasi
proustienne à la manière du Temps retrouvé ;
postface mortifère qui marque la fin d’une
époque, la destruction d’un lien. Le nouveau magasin
est nickel, mais Jamaa n’y vient presque
plus, Papi est mort, etc. Métaphore du progrès,
qui améliore la vie, mais détruit le tissu social.
Il y a dans ce film la quintessence de ce qu’ont
toujours cherché, en forçant sur le trait, Mocky,
Jérôme Deschamps ou Scola.
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