Entre tradition et modernité, cinéma d’auteur et cinéma populaire, une adaptation inventive et talenteuse de la BD de Marjane Satrapi.
On pourrait commencer par un constat assez simplet : ceux qui ont aimé la bande dessinée ne seront pas déçus. Persepolis, le dessin animé, condense en 1 h 35 les quatre volumes de la BD autobiographique de Marjane Satrapi, en se concentrant sur l’essentiel : l’histoire d’une petite fille qui va grandir pendant la révolution iranienne et la guerre entre l’Iran et l’Irak dans une famille de la bourgeoisie éclairée de Téhéran, avant d’être contrainte de partir vivre en Europe et d’y vivre son adolescence, loin des siens – il y aura aussi un retour. Une œuvre claire et tranchante sur l’exil et sur la culpabilité de celui qui est parti pour échapper au pire. Un sujet universel. On aurait pu craindre que ce qui faisait la qualité (et le succès mondial) de la BD de Marjane Satrapi – l’intrication de l’intime et de l’histoire, traités sans fausse pudeur mais avec émotion et humour – ne passe pas l’épreuve du cinéma. Or, Satrapi et Paronnaud ont eu la bonne idée de se colleter avec le cinéma et non pas d’y jouer en amateurs. Se posait évidemment le problème du passage à l’animation du noir et blanc fixe de la BD, qui mariait habilement les influences graphiques occidentales et orientales. La première surprise, mais aussi la réussite du projet, viennent de ce que Marjane Satrapi et son coréalisateur Vincent Paronnaud ont introduit dans cet univers bicolore un intermédiaire : le gris, ou plutôt les gris, des noirs de différents grains où l’on croit reconnaître des traits au fusain, au crayon à papier, au lavis, etc. Les décors du film, intérieurs et extérieurs, de Vincent Paronnaud, par leur sens du détail, mais aussi les voix (de Danielle Darrieux, Catherine Deneuve et Chiara Mastroianni), nourrissent l’oeuvre originale en réalisme. Persepolis est un film de mélange, où tout est permis pour atteindre à l’expression la meilleure, la plus juste. Persepolis rappelle parfois un film noir hollywoodien de Fritz Lang, parfois Le Pigeon de Monicelli, parfois aussi (dans les attitudes des visages) les dessins animés tirés des Peanuts de Schulz. Satrapi et Paronnaud déploient toute la palette de leur talent et leur inventivité : l’image, dans les meilleurs moments du film, prend souvent la forme d’un vaste terrain de jeu abstrait pour une bouteille d’encre noire (les scènes de drame, de guerre, d’émeutes, en particulier, sont très impressionnantes), ensuite celle d’un castelet de marionnettes, puis des illustrations de contes de fée. C’est de ce mélange qui nourrissait déjà l’oeuvre sur papier de Satrapi, ici encore accentué, que naît la réussite du film : entre tradition et modernité, entre cinéma d’auteur et cinéma populaire (le film, a priori pour adultes, est vivement conseillé aux enfants à partir de 10 ans), entre rire et larmes, entre deux pays, deux arts, un film vraiment singulier.
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