Une nymphe romantique surgit d’une piscine d’immeuble. Un nouveau conte mi-naïf, mi-rusé de l’embobineur Shyamalan.
Alors, de quoi ça parle ? – Une narf surgit du fond de la piscine. – Et alors ? – Elle est poursuivie par des scrunts. – Mais encore ? – Elle est protégée par des nonnarfs. – C’est quoi un non-narf ? – C’est vous et moi. – Et le personnage principal ? – Ilililil bbbbégg…– Pardon ? – Excusez-moi, je suis un acteur amateur : il bégaie. – Et comment sont les monstres ? – Yeux vermillon et poils de gazon. – Poils de quoi ? – Poils de gazon. – M. Shyamalan, Disney paiera la note de ce déjeuner, mais rien de plus. Non, vous ne prendrez pas de café.î On n’y était pas, mais on imagine que ce doit être à peu près en ces termes que la rupture entre M. Night Shyamalan et la productrice Nina Jacobson fut consommée, mettant fin à une des plus fructueuses collaborations hollywoodiennes. Le cinéaste, très affecté, prit ses cliques et ses claques, rejoignit la Warner, et écrivit The Man Who Heard Voices, un brulôt contre ses anciens patrons. Sans être disneyphile, on est perplexe devant La Jeune Fille de l’eau tant les composantes habituelles de l’art de Shyamalan sont malmenées : récit dispersé, appareil mythologique alambiqué, mélange de nébulosité ésotérique et de démonstrations poussives sur l’essence de la fiction… Et la sidération ? Quid de la marque de fabrique de Shyamalan, ce fameux art du retournement qui n’est pas tant le renversement d’une chose en son contraire que l’exposition au grand jour de la sombre doublure du monde, mort et contemporain : c’est déjà fini (Sixième Sens) et c’est encore aujourd’hui (Le Village) ? Et si cet art du retournement était devenu ici un principe général, tant c’est bien à un film retourné que nous avons affaire ? Longtemps, le chagrin a été le secret des films de Shyamalan, le chagrin de ceux qui se savent condamnés à exercer un don et de ceux qui ont perdu une personne chère. Double secret qui provoque la fiction et l’anime d’une profonde ambivalence : est-elle une sage protection ou un leurre dont il faudra apprendre à se séparer ? Shyamalan est en cela un petit héritier de Nathaniel Hawthorne, un héritier contre-nature dont les origines indiennes gauchissent malicieusement cet univers puritain : la forêt comme réservoir de terreurs, la lisière comme horizon du récit, la culpabilité rongeante et inexpliquée, l’utopie communautaire sévère, les décors plantés comme des stèles monumentales, les personnages retirés du monde des vivants, le chagrin comme énigme et comme destin, etc. Dans La Jeune Fille de l’eau, le chagrin est bien présent, fondateur même pour le personnage principal, un gardien d’immeubles joué par Paul Giamatti, le Gérard Jugnot américain. Et pourtant ce beau motif est ici sans effet, conventionnel même. Un autre secret est peut-être en jeu. On n’a sans doute pas assez remarqué, dans les précédents films de Shyamalan, ces quelques personnages, souvent ingrats, animés par une rage impuissante : Samuel L. Jackson dans Incassable ou Adrien Brody dans Le Village. Et si la colère était ce second secret, insufflant à La Jeune Fille de l’eau une énergie désordonnée et butée qui retourne le cinéma de Shyamalan ? Colère officielle de Shyamalan contre l’ingratitude de ses anciens patrons, puisqu’il a tenu à ce que son film sorte accompagné de son fameux brûlot, mais aussi colère intime traduisant la crise d’un grand conteur à la recherche d’une nouvelle formule fictionnelle miraculeuse qui délaisserait la ruse narrative au profit d’une franchise inédite : éléments comiques triviaux, sens de l’enfance hilare, catalogue de l’humanité hétéroclite, regroupement festif de caractères, personnages féminins hâbleurs, récit à hue et à dia… La colère est-elle bonne conseillère pour Shyamalan, artistiquement parlant ? Si le chagrin avait trouvé une belle formulation dans son cinéma, sa colère est encore mal aiguisée, se perdant dans des motifs à la férocité infantile (le personnage raté du critique de cinéma Harry Farber – pauvre Manny Farber !), ou voulant à tout prix être artificiellement intégrée à une lénifiante réconciliation finale, bref prise en étau dans l’écart spielbergien du “Bêtement méchant/ bêtement gentilî. Le rôle que se donne Shyamalan dans le film, détaché de l’ironie narquoise de ses habituelles apparitions, le montre démuni et inquiet. Son personnage aspire à écrire une grande oeuvre devant révolutionner l’humanité dont seul le titre, dérisoire, a été trouvé : Petite cuisine. Cinéaste aux intentions démesurément ambitieuses aplaties par la modestie artisanale des recettes narratives, M. Night Shyamalan est un homme en crise, mais parfaitement lucide. De tous ses films, La Jeune Fille de l’eau est celui qui a connu le plus mauvais démarrage aux Etats-Unis. Espérons que l’humiliation, entre chagrin et colère, sera bonne conseillère.
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