ILS NE MOURAIENT PAS TOUS MAIS TOUS ÉTAIENT FRAPPÉS
de Sophie Bruneau et Marc-Antoine Roudil (1 h 20)
Un documentaire passionnant, intelligent et salvateur sur la souffrance au travail.
Il y a quelque chose d’extrêmement cohérent dans le projet de Bruneau et Roudil, déjà auteurs d’un beau documentaire sur les notaires, Pardevant notaire. Cohérence qui tient aux partis pris de mise en scène, rigoureux et modestes, qui se mettent à l’unisson de leur sujet. Ils ne mouraient pas tous…, inspiré par le livre de Christophe Dejours, Souffrance en France, est divisé en deux parties.
Dans la première, nous assistons à quatre entretiens individuels, filmés en plan fixe, entre un représentant du corps médical (psychologue ou médecin) et un homme ou une femme malade de son travail. Nous voyons et surtout entendons ainsi une ouvrière à la chaîne, un directeur d’agence, une aide-soignante et une gérante de magasin raconter pourquoi ils ont craqué, comment ils en sont venus à ne plus supporter leur travail et la pression exercée sur eux par celui-ci et par ceux qui les dirigent. Quatre entretiens bouleversants représentatifs de ce qu’est devenu le monde de l’entreprise, sans que quiconque s’en offusque plus que cela.
Dans la seconde partie, intitulée « Viatique », les trois professionnels que nous avons vus précédemment (qui tiennent des consultations à Nanterre, Garches et Créteil) se trouvent réunis en compagnie d’une quatrième personne, qui vient tirer avec eux les conclusions théoriques des entretiens. Qui est-elle ? On ne l’apprendra qu’à la toute fin, dans le générique. C’est là l’un des détails de la mise en scène qui fait la qualité du film : ce n’est pas le nom ou la personnalité de ces quatre professionnels qui parlent qui compte, mais ce qu’ils pensent, disent et font.
Et ce qu’ils disent, c’est que dans le monde du travail, chacun, désormais, individuellement, a peur, que le chômage de masse a créé une arme nouvelle (la crainte du licenciement), qui pousse les salariés à accepter l’inacceptable, d’abord pour les autres, ensuite pour soi. Jusqu’au jour où… Ils disent aussi, notamment, que les conditions de travail ne sont sans doute pas pire qu’autrefois, mais que la seule force qui pouvait naguère s’opposer à la pénibilité, à la pression psychologique, la solidarité entre les salariés, a disparu. A ce moment-là du film, il y a quelque chose de fort qui passe : un espoir. Car on ressent alors fortement que ces quatre individus qui parlent de la souffrance des autres ont, eux, réussi à créer un réseau, à tisser des liens, par et grâce au travail. Tout n’est pas perdu.
Jean-Baptiste Morain
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