LA GUERRE DES MONDES (2005)
DE STEVEN SPIELBERG
avec Tom Cruise, Tim Robbins, Dakota Fanning
Spielberg, à son meilleur dans cette adaptation du roman éponyme de H.G. Wells, signe un sommet de spectaculaire et un exercice de stylisation passionnant sur le regard. Un des grands films de l’année dernière.
LE FILM : Précis exhaustif des formes, figures et thèmes essentiels au cinéma de Spielberg des origines à nos jours, compendium monumental et ciselé de l’imaginaire et des obsessions qui travaillent les cauchemars et les fantasmes de l’Amérique depuis quatre ans, La Guerre des mondes est tout cela à la fois, ainsi qu’un éblouissant exercice de mise en récit et en images fondé sur la question du regard.
Cette dernière n’est pas neuve chez Spielberg. Elle traverse confusément son œuvre toute entière on se souvient de cette image sidérante, quasi mythologique, de Tom Cruise énucléé dans Minority Report, trimballant ses deux propres globes oculaires dans un sachet en plastique. D’élément jusque-là secondaire et diffus, l’œil est devenu un motif essentiel, presque un moteur, omniprésent dans La Guerre des mondes. Que représente l’affiche du film ? Un globe oculaire incandescent, veiné de fibres rouges et suspendu à son nerf optique. Au fil du film, la photographie et ses filtres charbonneux dévorent littéralement les visages, si bien que les regards n’en ressortent que plus intensément ; Dakota Fanning devient ainsi une simple paire d’yeux désarticulés, qui roulent, s’écarquillent et ne se figent que lorsque l’horreur est à son comble.
De l’ex-ambulancier qui enjoint ses semblables de garder les yeux ouverts à la fille de Tom Cruise qui fait l’expérience de l’abominable en s’affranchissant du champ de vision de son père, le récit brasse toutes les problématiques du voir, que renforcent encore de multiples motifs de la mise en scène. Ainsi, entre autres, la vitre qui barre le regard de la caméra, tantôt intacte et apposée comme un filtre au visible, tantôt trouée d’une béance en forme d’œil inhumain dans laquelle se dessinent les personnages.
L’inflation exorbitante de cette stylisation du regard se résoudra, comme le récit, par un œil crevé. Celui qui se dévide lorsque le premier tripode choit, vomit son humeur aqueuse et recrache son pilote, un envahisseur agonisant dont le regard s’est vidé, éteint.
LES DVD : Deux galettes. La première restitue le film tel qu’on l’avait découvert en salle l’été dernier : stupéfiant au point que sa première partie apparaît comme ce que le cinéma à effets spéciaux a délivré de plus époustouflant et spectaculaire depuis son entrée dans une ère numérique avec, sans doute, l’éblouissant Spider-Man 2 de Sam Raimi.
Le second disque est quant à lui affecté aux suppléments pour la plupart très anecdotiques, lorsqu’ils ne se révèlent pas bêtement autopromotionnels. Il faut cependant prêter attention à un making-of inégal, segmenté en quatre chapitres et fallacieusement intitulé « Journal de production ». S’il est beaucoup trop long et présente les mêmes défauts que les autres bonus, il comporte néanmoins quelques révélations intéressantes sur la méthode Spielberg, notamment lors du travail de préproduction, où le story-board à l’ancienne est supplanté par des créations animées en images de synthèse sur lesquelles le réalisateur a tout le loisir d’éprouver ses intuitions de filmage. D’où, peut-être, la maîtrise renversante de sa mise en scène.
Julien Gester