Risorgimento, Mussolini, terrorisme… Par le biais d’épopées historiques, des écrivains racontent le roman de l’Italie.
On pourrait appeler ça le syndrome Nos meilleures années. Ce film sorti en 2003, ample fresque de six heures qui retraçait l’histoire de l’Italie des années 60 à nos jours à travers le parcours de deux frères, est symptomatique de ce goût pour la saga historique, manifeste dans la Péninsule depuis quelque temps. Au cinéma (Il Divo sur les décennies Andreotti, Vincere sur la maîtresse de Mussolini), mais aussi dans la littérature. En 2011, le beau Dolce vita de Simonetta Greggio racontait les bouleversements survenus entre 1959 et 1979, sur fond de Brigades rouges, Mafia et intrigues vaticanes.
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Le roman chaotique de l’Italie
Trois livres récents s’inscrivent dans cette tendance « saga Italia » et déroulent le roman chaotique de l’Italie, du Risorgimento à Berlsuconi. Dans ces textes, l’Italie apparaît comme un pays divisé, patchwork d’identités mal rapiécées.
Voyage dans le temps et l’espace, destins croisés d’une mère et de sa fille, Eva dort évoque la situation du Tyrol du Sud, italianisé de force à l’époque fasciste, entre humiliations et attentats indépendantistes. La romancière Francesca Melandri donne corps (et quels corps ; ceux, sensuels, de Gerda et de sa fille Eva) à l’histoire violente de cette région, emblématique de la fragile unité italienne.
Ces fractures traversent également le Canal Mussolini d’Antonio Pennacchi, l’épopée d’une famille de paysans exilés dans les marais pontins, nouvelle terre promise par Mussolini à des milliers d’affamés dans les années 30. Pennacchi retranscrit l’incompréhension entre Italiens qui parlent différents dialectes (ce qui rend la lecture un peu fastidieuse) et se traitent de « bougnoules ».
En parallèle, le narrateur tient la chronique de l’ascension du Duce, avec une dérangeante propension à déresponsabiliser ceux qui ont adhéré au fascisme :
« La veille encore, tout le monde était fasciste, et le lendemain tout le monde anti. Ou en 1989-1994 : avant, les gens étaient tous communistes ou démocrates-chrétiens, après ils ne juraient que par Berlusconi et la Ligue lombarde. »
La phrase résume la pathologie politique souvent diagnostiquée à l’Italie, une forme de fatalisme qui a permis à Berlusconi de se maintenir au pouvoir pendant dix-sept ans et qui a conduit le pays à une crise démocratique, économique et morale.
L’Italie se porte mal et les écrivains éprouvent la nécessité de fouiller le passé pour comprendre la situation actuelle. Avec Les Traîtres, Giancarlo De Cataldo, l’auteur de Romanzo criminale, fait le récit haletant du combat pour l’unité italienne à la fin du XIXe siècle, mêlant fiction et réalité, Dickens, Dumas, Sade et Walter Scott. Il rappelle que l’Italie moderne est née de conspirations, de complots des sociétés secrètes et de la Camorra. « Une comédie, pas une tragédie : ça, c’est l’Italie », déplore l’un des personnages. Une commedia dell’arte qui aurait mal tourné.
Elisabeth Philippe
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