Après dix ans de cavale à travers le punk, Skip The Use sort un deuxième album enrichi d’influences infinies. Rencontre avec les instigateurs de Can Be Late : le chanteur Mat Bastard et le guitariste Yann Stefani.
Comment vous vivez l’engouement médiatique actuel autour de Skip The Use, après tant d’années de scène ?
Mat Bastard : Je ne sais pas, on est bien, dans l’ombre. D’un certain côté, on est content de pouvoir montrer ce qu’on fait, mais on aime ce côté underground dans la façon de faire, et dans la façon d’être. Surtout dans la façon d’aborder les concerts et les gens qu’on rencontre à travers notre musique. C’était plus un clin d’œil à ça, le titre de l’EP Sound From The Shadow, et surtout un clin d’œil à ceux qui resterons toujours dans l’ombre parce que la société d’aujourd’hui ne leur permettra pas d’être dans la lumière, parce que ça n’arrange personne qu’ils le soient. On avait envie de faire quelque chose qui les représente, et qu’on soit un groupe dans lequel ils puissent s’identifier, parce qu’on vient de là aussi. On en est assez fiers, même si aujourd’hui on est dans d’autres configurations, celle d’une major et d’un gros tourneur. On n’a pas envie d’oublier d’où on vient et à qui on s’adresse.
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Vous jouez beaucoup avec l’image du punk-rock. Quelle relation entretenez-vous avec cet héritage ?
Mat Bastard : Ce n’est pas vraiment nous, c’est plutôt les gens. Mais je pense que c’est un peu compliqué de classifier notre musique. Suivant la façon dont on nous a découvert, que ce soit sur l’album ou en live, l’approche ne sera pas la même. Ceux qui nous découvrent en live, vu que c’est assez énergique, ils ressentent vraiment le côté punk. Ceux qui nous découvrent avec l’album le sentent un peu moins. Ils vont voir d’autres influences. Des influences plus anglaises vont leur taper dans le cerveau. Le punk, c’est pas quelque chose qu’on a voulu défendre. Pour nous c’est beaucoup plus qu’une musique ou une façon de s’habiller. C’est plus une façon de penser et de voir les choses. Tu peux être super punk en faisant du reggae. On s’en fout un peu, en fait. L’étiquette, on n’a pas voulu la mettre à cet endroit-là. On avait plutôt envie d’aborder certains sujets, de faire un peu réfléchir les gens sur certaines choses, tout en les faisant danser. On veut que les gens s’amusent, et qu’ils se lâchent. Parce qu’aujourd’hui, tout est tellement cloisonné et sectorisé que c’est super compliqué d’être soi à 100%. On avait envie d’offrir une musique où pendant une heure, une heure et demie, les gens puissent être eux-mêmes, être ensemble. Ce n’est pas grand chose, mais pour nous c’est important.
On retrouve beaucoup d’influences sur Can be Late. Du reggae, de l’électro, même de la transe, sur le morceau The Face...
Mat Bastard : On écoute beaucoup de musique. Vraiment beaucoup de musique, que ce soit de l’electro, du punk, du rock, du classique pour certains, de la musique ethnique pour d’autres. Il y a aussi ça dans le groupe. Donc on a essayé de digérer tout ça, et vraiment, on veut faire danser les gens. On utilisera tout ce qui nous passera par la tête tant que ça reste cohérent avec l’ensemble. C’est vrai que dans The Face, on a un son qui est un peu plus transe, même si avec des artistes comme Timbaland, ces sons sont devenus les nouveaux sons du hip-hop ou de l’electro. Définir ça par un style de musique veut peut-être dire quelque chose aujourd’hui, mais demain ça ne voudra plus rien dire, parce que ce style de musique sera utilisé pour autre chose. Le rock aujourd’hui, ça ne veut plus dire grand chose. Les codes du rock sont autant utilisés par Lady Gaga que par les Rolling Stones, ou par Justice.
Avec votre précédent groupe, Carving, vous faisiez clairement du punk. Comment s’est amorcée l’évolution vers ces nouvelles sonorités ?
Mat Bastard : On n’a pas calculé les choses. On a composé un troisième album de Carving, et parmi les titres, il y en avait trois qui étaient complètement différents. Donc on ne s’est pas dit « tiens, on va composer des chansons comme ça », mais en écoutant le tout, on s’est dit « tiens, celui-là, celui-là et celui-là, ça n’a vraiment rien à voir avec le reste ». Et puis on s’est rendu compte qu’on aimait vraiment les jouer, ces titres. A l’époque on faisait cet album avec un producteur belge qui a un peu mis le doigt dessus en disant « vous savez, ça peut être intéressant, ce n’est pas si mal ce que vous faites dans ce style-là ». Donc on s’est remis en question, on s’est pris au jeu, on a développé ces trois chansons, on a essayé de trouver de nouvelles choses, et on y a pris plaisir. Et naturellement on s’est dit que c’était le moment de faire autre chose. On ne l’avait jamais fait avant. Ca a peut être duré une après-midi de se dire « allez, on s’en fout, on tente autre chose, on est jeunes ».
Yann Stefani : On avait envie de changement. Le punk, ça faisait déjà pas mal de temps qu’on en faisait, Mat encore plus. On avait envie d’aller vers autre chose, de s’ouvrir plus. C’était un petit challenge pour nous de changer de style.
Mat Bastard : Et puis quand ça se passe comme ça, naturellement, c’est vraiment bien. Ce n’est pas le producteur qui a composé, c’est nous, donc il fallait juste qu’on assume ces morceaux et qu’on se dise qu’on était en train de changer, qu’il a avait un truc qui se passait. Donc soit on utilisait ce changement et l’expérience du punk pour faire quelque chose de nouveau et de frais, soit on faisait une croix dessus et on restait ce qu’on était avant. On a plus eu envie d’aller de l’avant.
Chanter en anglais, ça a toujours été une évidence ?
Mat Bastard : On a vraiment envie de s’exporter. On n’a pas envie de s’adresser uniquement au marché français ou francophone. On a vraiment envie de s’adresser au monde, et de bouger. On a eu l’occasion de le faire un peu avec le groupe, et c’est vraiment quelque chose qui nous a plu. On adore jouer en France, mais on adore aussi jouer ailleurs, pour encore plus apprécier la France ! Les cultures sont tellement différentes d’un pays à l’autre, c’est hyper intéressant quand tu es musicien. C’est un job qui permet de bouger. Et nous, ça nous a vraiment plu. Donc l’anglais, c’est assez évident. Quand tu as envie de bouger de chez toi, c’est plus facile.
Comment ça se passe quand vous rentrez à Lille ?
Yann Stefani : Ca nous fait du bien. On aime bien être chez nous, avec nos familles. Rentrer à Lille, c’est toujours un plaisir. Surtout que les tournées sont fatigantes…
Mat Bastard : Et puis le Nord-Pas de Calais, c’est nos bases, les gens de l’ombre dont on parlait, ils sont là. Ce sont ces bases-là qui nous permettent d’être ce qu’on est aujourd’hui, et ça fait vraiment du bien d’y retourner. C’est la vraie vie, tout ça.
Le ch’ti serait-il en passe de devenir cool ?
Mat Bastard : (rire) Je ne pense pas, non. On n’est pas régionalistes ! Ce qui nous intéresse dans le Nord-Pas de Calais, ce sont nos familles, nos bases, qui sont là. Après, si on avait été tous du Larzac, on rentrerait dans le Larzac. Il y a des trucs hyper relou dans le Nord-Pas de Calais, et il y a des trucs géniaux. Les gens se foutaient un peu de notre gueule au début, mais on est une région française comme les autres, pas plus intelligente, pas plus conne. Si on voulait que les gens retiennent quelque chose, ce serait ça. On n’est pas mieux, on n’est pas pire, on est comme tout le monde. Il y a des groupes, des cinéastes, des comédiens, des bonnes boites. Ce ne sont pas que des boubourses alcooliques qui parlent mal !
La comparaison avec Bloc Party revient sans cesse. Ca vous énerve ?
Yann Stefani : Non… C’est vrai qu’on nous le dit souvent, mais ça ne nous énerve pas. C’est un bon groupe, mais ce n’est pas forcément ce qu’on écoute…
Mat Bastard : Ca me fait penser à ce qu’il y avait dans le punk avant, avec Guerilla Poubelle. C’est un peu le groupe de punk français qui a cartonné, qui passait à la radio et tout ça. Du coup les médias se sont dit « waw ! », et ils ont commencé à s’intéresser à d’autres groupes de punk. C’est là qu’on a commencé à nous dire « ouais, vous êtes un peu comme Guerilla Poubelle », alors qu’on n’avait pas l’impression de leur ressembler. Avec Bloc Party c’est pareil. C’est un peu les premiers dans le rock un peu dansant et electro, donc les gens disent qu’on est comme eux. En même temps, on a une certaine filiation par rapport à ce groupe, parce que c’est eux qui ont ouvert la brèche, et pour ça on les remercie. Sans eux, il n’y aurait peut être pas autant d’intérêt médiatique autour de ce style de musique. C’est vrai, on s’inscrit dans la filiation de Bloc Party, de Franz Ferdinand, de Arctic Monkeys. Mais musicalement parlant, pour être franc, Bloc Party n’est pas un groupe qu’on écoute régulièrement, ou qui a été une vraie influence lors de la genèse de l’album. Mais on respecte énormément leur travail. Donc c’est loin d’être un souci d’être comparé à eux. Au contraire, ça nous flatte.
Vous passez bientôt à Taratata, puis au Printemps de Bourges. Comment vous voyez la suite ?
Yann Stefani : On va voir venir, on verra bien ce qu’on nous propose. Ce qu’on veut, comme on disait, c’est s’exporter. On compte sur le tourneur pour qu’il nous fasse voyager un peu. Notre objectif c’est vraiment ça, c’est aller loin, tout le temps, se montrer avec nos concerts. C’est avant tout sur scène que ça se passe, on a envie de ça. Notre objectif c’est montrer à tout le monde ce qu’on sait faire. On verra bien ce que vont nous apporter toutes ces choses, comme les émissions de télé. On verra bien… Mat Bastard : On est super content de cette évolution. Mais faut attendre que ça arrive, et quand ça arrive, on est contents, on se dit « ça y est, on s’intéresse à nous ». Ca veut dire qu’on a passé un certain palier. Mais c’est vrai que notre objectif c’est de s’étendre un peu partout. Je serai super content de te revoir dans un an et de te dire « tiens, on fait quinze dates en France, et dix là, dix là… »
Ca n’entrera pas en contradiction avec votre souhait d’underground ?
Mat Bastard : Non, je ne pense pas. C’est une façon d’être. On sera toujours les mêmes. Qu’on joue au Canada, à Lisbonne ou à Melun, on fait le concert de la même façon. L’underground, c’est plus une façon d’aborder les choses, d’aborder les gens, d’aborder les endroits. Ce n’est pas parce que tu joues à Los Angeles que tout d’un coup tu deviens un groupe super cool, super hype, et que tu mets une énorme distance entre les gens et toi. Nous, on a vraiment pas envie de ça. On a vraiment envie d’être un groupe populaire, dans le sens premier du terme. C’est de là qu’on tire notre énergie. On la tire des gens qui sont en face de nous. Souvent ce n’est pas la peine d’aller chercher plus loin que devant soi. Cette façon d’aborder les choses, je crois qu’elle vient vraiment des années qu’on a passé à jouer dans les bars, dans la rue, dans des petites salles. Au final tu te retrouve à Solidays sur la grande scène, devant des milliers de personnes. Mais dans ta tête, c’est comme si t’étais dans un bar, et la personne qui est derrière la barrière, tu sais qu’elle te regarde, que tu peux presque l’entendre parler, et que tu dois aller la voir. Même si tu es sur la grande scène, c’est pas grave, tu vas aller la voir. Cette expérience des tournées, on l’a depuis dix, quinze ans. C’est nos bases. C’est une expérience qu’on a intégré et qu’on trouve réellement importante aujourd’hui, ce que certains groupes ou certains projets ne revendiquent pas du tout. Aujourd’hui il y a la mode des groupes de bébés rockers qui arrivent à quinze piges et qui sont déjà matraqués dans des trucs énormes. C’est un choix, mais ce n’est pas le notre. On est super fiers d’avoir fait ces centaines de concerts sans conditions. Ca nous a forgés. C’est cet état d’esprit-là qu’on veut garder.
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