Choeur de Tokyo de Yazujiro
Un vieux dogme cinéphilique voudrait que la vérité d’un auteur se trouve dans ses œuvres ultimes.
Mais ce qui peut être vrai de Dreyer ne l’est pas forcément de tous. Le cas d’Ozu est, sur ce point, particulièrement éclairant. Obsédé par la volonté d’en faire le maître zen du cinéma, on a eu trop souvent tendance à comprendre sa carrière à partir de son sommet final Ð quatre, cinq films en couleurs, tournés entre 1958 et 1962, qui, après avoir systématiquement évacué tout mouvement d’appareil, ressassent plus que jamais le thème obsessionnel du mariage. Du coup, l’ensemble des productions du cinéaste se lisait rétrospectivement comme le lent et progressif dégagement d’un modèle hollywoodien, transposé au Japon, avec ses gags, ses meurtres et ses travellings.
Cependant, la sortie, l’année dernière, d’un inédit de 1942, Il était un père, a permis de réévaluer cette orientation trop linéaire. Absolument magistral et déchirant, le film mettait, en effet, l’accent sur un Ozu plus complexe, qui, pour n’avoir pas encore réduit sa cinématographie au seul plan fixe, n’en était pas moins, déjà, un metteur en scène hors du commun Ð ce que prouvent aussi bien, un peu plus tard, Printemps tardif (1949) ou l’indépassable Voyage à Tokyo (1953). Or si l’on veut bien recentrer la carrière du réalisateur sur cette décennie magique, il devient aussi possible d’estimer, avec plus de justesse, les œuvres de la période précédente. Jusqu’à présent, dans les années 30, seul le séminal Gosses de Tokyo (1932) avait les honneurs du premier rang. La sortie d’un nouvel inédit de 1931, Chœur de Tokyo, vient, sans conteste, renforcer le bataillon. Entre les deux films, les jeux d’échos sont, d’ailleurs, nombreux. L’un et l’autre marquent la fin des comédies estudiantines et on y retrouve la même description, muette et pourtant très bavarde, d’une vie de famille modeste où les enjeux sociaux (la crise de 1929) trouvent des répercussions immédiates dans les rapports père/fils.
Mais, plus encore que dans Gosses de Tokyo, les personnages, qui seront par la suite cloisonnés dans des scènes et des lieux séparés, partagent ici le même cadre. La dernière séquence du film mélange même, de façon tout à fait exceptionnelle, femmes, enfants, anciens élèves et professeur, autour d’un unique banquet. Comme le réalisateur varie encore beaucoup les valeurs de plan et que son héros arbore fièrement le canotier de Harold Lloyd, ce gentil brouhaha passera sans doute, auprès de certains irréductibles, pour un défaut de jeunesse. Rien n’empêche cependant d’apprécier pour elle-même cette élégante fluidité. D’autant qu’elle inclut déjà certains moments d’une rare beauté. Comme cette conversation entre les deux époux, fatigués de leur sort, avec en perspective commune une simple corde à linge où flottent légèrement des vêtements accrochés. Assis à leurs côtés, on voit le temps passer.
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Patrice Blouin
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