Les Vampires de Louis Feuillade
Le film Dans le grand magma de plus de cent ans d’histoire du cinéma, le cinéphile peut rêver à l’existence d’une boîte noire, qui comme dans En quatrième vitesse ou Mulholland Drive, serait le lieu d’où tout s’origine et où tout s’abolit, une matrice secrète en même temps qu’un trou noir, la matière et l’antimatière.
Cette boîte noire du cinéma est désormais en vente libre dans toutes les Fnac de France : c’est le coffret des Vampires de Louis Feuillade, enfin édité par Gaumont. « Louis Feuillade a inventé le cinéma américain », profère Jean-Luc Godard dans ses Histoire(s). Feuillade a aussi inventé la cinéphilie, qui est toujours l’invention d’un regard, un détournement, la projection d’une lecture savante sur des objets qui appartiennent à tous.
Produits commerciaux fabriqués en série par la Gaumont pour remplir l’énorme Gaumont Palace (à l’époque le plus grand cinéma du monde, place Clichy), Fantômas, Les Vampires vont soulever l’enthousiasme des surréalistes, de Magritte, de Cocteau, qui surent voir dans ces histoires effrayantes de génie du mal, crimes à la chaîne et sociétés secrètes la production poétique la plus neuve et originale d’une société qui vient d’accomplir sa révolution industrielle, et dont les cauchemars sont peuplés de machines, d’impeccables organistations, d’armées maléfiques. Même le chaos est une forme d’ordre.
Les Vampires ressemblent donc à leur temps. Même Paris, en 1915, n’est plus tout à fait le même que celui filmé un an plus tôt dans Fantômas. La Grande Guerre l’a vidé de ses gens, la ville semble morte, privée des plans d’extérieurs sur des faubourgs grouillants qui faisaient le charme pittoresque de Fantômas. Mais Les Vampires sont aussi plus forts que leur temps. En eux, l’histoire s’enroule. C’est, on l’a dit, la boîte noire du cinéma, son absolue formule algébrique. C’est quoi, cette formule ? L’idée toute bête que le cinéma a toujours à voir avec l’enfance et la terreur, ne travaille que sur l’archaïque : la peur du noir, les gens de la nuit, la chose tapie sous le lit. Que tout spectateur est dans le temps de la séance (oui, séance Ð ne pas oublier que la psychanalyse naît avec le cinéma et avec Les Vampires) un orphelin égaré, un gamin terrorisé qui ne demande qu’à l’être plus encore.
Et que si il y a la terreur, il faut encore le sexe. Introducing Irma Vep, femme-chat, qui crapahute sur les goutières galbée dans une peau de tissu noire et luisante. Pour Musidora, l’actrice au beau pseudo qui interprète Irma Vep, la presse invente le terme de vamp (diminutif de vampire), qui qualifiera dès lors chaque nouveau pic éruptif d’érotisme féminin sur écran. Si on ajoute à cette formule basique (meurtre + sexe Ð Hitchcock s’en souviendra) une réflexion spéculaire sur le regard, l’hypnose (Lang s’en souviendra), la représentation (idée géniale de montrer une actrice jouant au théâtre Irma Vep avant même la vraie Irma), voilà accompli, tour de vis théorique compris, le théorème parfait du cinéma, l’objet a du
cinéphile Ð cette victime consentante toujours prête à tendre son cou aux vampires.
LES DVD Un documentaire sur la restauration des Vampires, un très beau film fait de témoignages de collaborateurs de Louis Feuillade interrogés dans les années 60, et deux courts métrages.J.-M. L.
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