THE TAKE
DE NAOMI KLEIN ET AVI LEWIS
Avec ses plans kitsch de soleil couchant, ses scènes d’autogestion ouvrière et de solidarité populaire, The Take déploie, de manière assez inattendue, un énergique hommage à la démocratie participative et à l’action directe (pacifique).
Une bonne surprise car, depuis l’effondrement du système bancaire argentin, en 2001, et la mise en faillite de l’économie du pays, les récits du drame social de l’ex-future grande puissance latino-américaine ont abondé, au point de devenir un quasi lieu commun des forums altermondialistes.
En choisissant de se concentrer sur le sort de l’usine Forja San Martin, fabrique de composants mécaniques et automobiles dans la banlieue de Buenos Aires, ce documentaire militant fait le pari de la micro-histoire, de la pédagogie attentive, au service d’un propos à la portée bien plus universelle. Et parvient ainsi à offrir un beau documentaire politique, porteur parfois de façon naïve dans sa forme du souffle de l’espoir des manifestations de Seattle et de Porto Alegre.
Pas étonnant puisque les auteurs du film, la journaliste et activiste canadienne Naomi Klein et son époux Avi Lewis, animateur et producteur de l’émission de débats politiques CounterSpin sur CBC Newsworld, sont de longue date des familiers des fronts de la contestation de l’ultralibéralisme.
La « take » qui donne son titre au film, c’est la prise, ou plutôt la reprise d’une usine mise en faillite par un patron, ami de l’ancien président Carlos Menem, contesté pour sa gestion financière faisant peu de cas des besoins économiques et sociaux de ses salariés. S’inspirant de l’expérience des ouvriers de l’usine textile Brukman et de l’usine de céramique Zanon en Patagonie, trente ouvriers de Forja San Martin commencent l’occupation de leur lieu de travail et demandent le droit de faire repartir les machines. Leur slogan : « Occuper, résister, produire ».
S’entame alors pour Freddy Espinosa, président de la nouvelle coopérative de La Forja, et ses camarades, un bras de fer avec banquiers, assureurs, avocats, juges… pour obtenir l’autorisation de diriger l’usine contre le gré de son propriétaire. Sur fond de campagne présidentielle (le film a en partie été tourné en 2003), ils tentent de mobiliser tout ce que le mouvement des usines occupées a produit comme savoir technique et politique (rapport de force avec les autorités de tutelle, auto-organisation entre lieux occupés, dénonciation de la corruption, virulente critique de l’organisation institutionnelle et de la démocratie représentative…).
« En Argentine, 200 usines ont été reprises par leurs ouvriers, explique Naomi Klein. C’est incroyable. Et ce phénomène a été presque complètement ignoré par les médias. Personne ne parle du fait que les partis de gauche ont pris le pouvoir en Amérique latine, que le néolibéralisme est rejeté partout. Ce n’est pas parce que l’Egypte va organiser des élections bidons ou que le Liban est agité par de soi-disant mouvements sociaux instrumentalisés et orchestrés par des criminels de guerre qu’il faut se réjouir de la progression de la démocratie… Regardez ce qui se passe en Bolivie, au Venezuela, en Uruguay : là on peut vraiment parler de prise de pouvoir par le peuple. »
Au milieu des scènes d’assemblées générales dans une usine à l’arrêt aux allures fantomatiques et de discussions angoissées sur l’avenir dans l’intimité familiale du leader syndicaliste, viennent se glisser des scènes, tournées à Buenos Aires, jamais vues jusqu’ici : des clients de banques, à l’apparence parfaitement lisse et bourgeoise, massacrent distributeurs de billets et devantures d’institutions financières qui refusent alors de leur rendre l’argent déposé dans les coffres.
Depuis sa sortie américaine, le film a beaucoup voyagé, en des lieux symbolisant des économies et des pratiques culturelles bien différentes, voire antagonistes : des pages du New York Times au forum social mondial de Porto Alegre, de la Mostra de Venise à la « global beach » contestataire qu’y organisèrent des réseaux altermondialistes sous le regard bienveillant de San Precario, le patron protecteur des travailleurs précaires, figure de proue des opposants italiens au capitalisme sauvage.
Avi Lewis : « En racontant l’histoire des usines occupées argentines, nous ne déterrons pas des récits archéologiques sans rapport avec nous. Ce n’est pas une situation exotique. Nous avons parlé à des gens qui nous ont dit que l’autogestion de Zanon ou de La Forja ne pouvait pas se produire en Europe. Mais il y a quatre ans, cela ne se produisait pas non plus en Argentine. Le paysage argentin est si proche du nôtre que cela peut donner des idées aux mouvements sociaux européens et américains.
« Les ouvriers de Lu que nous avons rencontrés après une projection de The Take à Nantes nous ont dit : « Cette histoire, c’est nous ! C’est notre lutte. » Nous espérons que ces idées, et pas seulement les tactiques, mais aussi l’esprit de ces combats, puissent s’étendre jusqu’à chez nous. C’est bon pour le moral de savoir que les ouvriers peuvent gagner. Nous sommes à un moment difficile du combat. Il faut se souvenir du pouvoir que nous pouvons avoir en tant que travailleurs. J’ajoute qu’à un autre niveau du débat, nous sommes quelques-uns à tout faire depuis des années pour passer de l’antimondialisme à l’altermondialisme. A l’origine de The Take, il y avait l’idée de consacrer tout un film, trois ans de travail, à la question des alternatives. »
Et la jeune femme d’ajouter : « J’entends des commentaires frustrés venir de la droite et de la gauche vieille école : « Ce n’est qu’une anecdote. Où est le plan quinquennal ? » Nous en discutions pendant la Convention républicaine à New York avec Arundhati Roy (écrivaine indienne ndlr) et Ashwin Desai, auteur et activiste sud-africain. Quelles sont les alternatives ? Où sont-elles ? Je ne peux pas répondre à cette question. Et je pense que personne ne devrait le faire. Mais les gens me le demandent tellement que je me dis aussi que je suis peut-être irresponsable de ne pas le faire. Et Ashwin m’a dit : « Ressaisis-toi ! Tout ce que tu peux faire, c’est lancer des idées. Et les gens en feront bien ce qu’ils veulent. » Il m’a raconté que No Logo avait donné des idées à des ouvrières du textile de Durban et peut-être pas celles auxquelles j’avais pensé. C’est tellement arrogant de penser que les gens ont besoin d’un programme. Tout ce dont ils ont besoin, c’est la permission de sortir de la pensée unique, d’être inventifs. »
Jade Lindgaard
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