L’ÉTRANGE FESTIVAL
Du 1er au 14 septembre à Paris
Cette année, le bien nommé Etrange Festival donne carte blanche à Roger Avary et rend hommage à Teruo Ishii, cinéaste érotique, gore et grotesque.
L’Etrange Festival persiste dans son exploration des marges du cinéma, de l’underground au cinéma bis en passant par les productions récentes les plus novatrices ou provocatrices, et l’exhumation d’œuvres bizarres et méconnues, avec toujours des invités du monde entier, des nuits blanches et des avant-premières.
Une carte blanche à Roger Avary permettra de vérifier le goût de l’auteur de Killing Zoe pour les expériences limites et les voyages psychédéliques, avec une sélection de films traversés par une idée radicale de l’aventure au cinéma. Histoire d’amour (Sid and Nancy), légende arthurienne (Excalibur) ou odyssée guerrière (La Bête de guerre), les films choisis par Avary sont des trips cinématographiques qui transcendent leur sujet pour explorer les territoires du rêve, de l’héroïsme, de la folie et de la mort.
Ce sera l’occasion de revoir un des films préférés d’Avary, Le Convoi de la peur (Sorcerer) de William Friedkin. Ce remake du Salaire de la peur de Clouzot, mille fois supérieur à l’original, éprouvant pour les nerfs et magnifiquement interprété par Roy Scheider, Bruno Cremer et Amidou, connut un des tournages les plus apocalyptiques de l’histoire du cinéma, sanctionné par un cuisant échec commercial et le statut de film maudit. Il s’agit pourtant du chef-d’œuvre de Friedkin et d’un titre majeur du cinéma américain contemporain. Le goût du cinéaste pour les ambiances à la fois cauchemardesques et documentaires débouche dans Le Convoi de la peur sur des images criantes de vérité (aucun trucage) et en même temps proches de l’hallucination.
Fidèle à sa passion pour le cinéma de genre japonais, L’Etrange Festival rend cette année un hommage mérité à Teruo Ishii, cinéaste infernal réputé pour une série de films « Ero-gro », contraction désignant au Japon le mélange d’érotisme et de grotesque sanguinolent, proche de notre Grand-Guignol. Teruo Ishii a en effet réalisé entre 1968 et 1973 huit films extrêmement violents situés durant la période Edo, parmi lesquels L’Enfer des tortures et Orgies sadiques de l’ère Edo, très prisés par les amateurs de sadomasochisme à l’écran, et les lecteurs de Sade et Bataille. Femmes criminelles est composé de trois contes cruels, histoires de meurtres, de supplices et d’amours prohibées. Dans le dernier segment, un tatoueur obsédé par l’expression de la souffrance sur le visage féminin s’acharne à reproduire dans ses dessins les spasmes des geishas violentées sous ses yeux, avant de graver dans la chair ses propres rictus de douleur grâce à un système de miroirs. Ce court chef-d’œuvre résume à la perfection les enjeux artistiques d’un cinéma fasciné par la représentation du mal et sa quête illusoire et malsaine de réalisme.
Pour ne pas quitter l’érotisme nippon, la traditionnelle séance offerte à l’équipe des Inrockuptibles permettra de voir ou de revoir, le lundi 6 septembre à 21 h 30, le légendaire Kung-Fu hara-kiri (Goyokiba : Kamisori Hanzo Jigoku-Zeme) de Yasuzo Masumura (1973). Derrière un titre français particulièrement stupide se cache le deuxième épisode (le plus excessif) des enquêtes du détective Hanzo Itami, surnommé « le Rasoir », dans le Japon féodal, confronté ici à une redoutable faiseuse d’anges.
Comparables à la saga « Baby Cart » et aux aventures de Zato Ichi, ces films contiennent des passages érotiques particulièrement sadiques. Le détective Hanzo possède en effet la particularité d’avoir un membre viril très vigoureux (il le plie à de sévères exercices physiques quotidiens) et de s’en servir comme d’un instrument de torture. Ainsi, dans une scène admirable de Kung-Fu hara-kiri, on le voit expérimenter une méthode toute personnelle d’interrogatoire sur une jeune femme et briser sa résistance par le plaisir, là où la force avait échoué. Hanzo Itami est interprété par Shintaro Katsu (1932-1997), gigantesque star du cinéma populaire nippon qui incarna durant plusieurs décennies le fameux samouraï aveugle Zato Ichi.
Kung-Fu hara-kiri constitue une parenthèse commerciale dans la filmographie de Yasuzo Masumura, auteur d’une œuvre magnifique comptant des titres plus personnels et respectables comme le chef-d’œuvre absolu La Bête aveugle (1969), Double suicide à Sonezaki (1978) ou encore son film le plus connu, le classique vénéneux L’Ange rouge (1966). L’Etrange Festival a d’ailleurs consacré un hommage à ce très grand cinéaste, il y a quelques années. Si Kung-Fu hara-kiri est sans conteste un film d’exploitation outrageusement sexuel, violent et vulgaire (et la version française n’arrange rien), il adopte un discours politique contestataire en vogue dans la période post-68 au Japon, à l’instar de certains films policiers ou westerns italiens. Son détective incorruptible se levant seul contre les exactions des élites bourgeoises et religieuses perverties devient un héros du prolétariat, prêt à tout pour venger et divertir le public des salles de quartier.
Olivier Père
Au Forum des Images, Forum des Halles, Paris Ier, www.etrangefestival.com