L’utopie d’une Amérique ancestrale préservée dans son intégrité et filmée comme un Disneyland kitsch.
Le Village ménage plusieurs surprises. La première, c’est celle du scénario, qui comme dans les deux premiers films de Shyamalan ménage un coup de théâtre final jetant un éclairage nouveau sur tout le récit (nous tâcherons d’en dire le moins possible). La seconde, c’est plutôt celle du sujet. Là où Sixième sens et Incassable traitaient plutôt de la croyance (croire aux fantômes, aux superhéros, comme condition de découverte et dépassement de soi-même), ici le sujet est davantage la crédulité. L’image dans le tapis, le secret de Polichinelle, c’est que les mythes nourrissant les habitants de ce village ne sont qu’un amas de balivernes. Mais que pourtant ces sornettes structurent une société. Quand à la fin de L’homme qui tua Liberty Valance John Ford affirmait que, lorsque la légende dépassait la réalité, il fallait imprimer la légende, il croyait encore dans la grandeur du mensonge qui allait permettre au personnage de James Stewart d’incarner une figure de père de la patrie et d’assurer le bien commun. La fiction qui cimente la société du Village est moins un mythe qu’un conte, une histoire à dormir debout. Voire un vestige de conte, un tout petit signifiant tombé d’un recueil de Charles Perrault : le Loup déguisé en petit Chaperon rouge. En isolant et réactivant cette image primitive, en la faisant courir dans les bois pour effrayer les jeunes générations, les anciens de cette communauté recluse parviennent à fonder un ordre social.
Il y a quelque chose de plus en plus perceptiblement narquois dans le cinéma de Shyamalan. Certes, Le Village alimente toutes les phobies de la part la plus conservatrice de l’Amérique contemporaine : haine du progrès, fantasme d’insécurité et d’apocalypse, élection de valeurs refuges, retour à la terre. Et en même temps, le cinéaste filme cette utopie d’une Amérique ancestrale préservée dans son intégrité comme un Disneyland kitsch, où les gens se font peur à coups d’images infantiles. Quelque chose d’indécidable flotte dans le regard, qui déjà donnait des airs de pastiche et de parodie aux séquences finales (apparition des extraterrestres) de Signes. Si Shyamalan filme une communauté de crédules, joue et jouit de sa grande habileté à rouler dans la farine ses spectateurs (d’abord susciter la peur pour lever le voile sur un théâtre de marionnettes dérisoire), lui ne semble guère dans la croyance de ce qu’il raconte. Une dimension de farce germe, qui évoque plus d’une fois le ricanement d’un Lars von Trier dans Dogville (le cinéaste danois a d’ailleurs choisi l’interprète du Village pour incarner la suite de Dogville). La seule valeur que célèbre Shyamalan, plus que celles idéologiques d’une Amérique immémoriale des pionniers, c’est celle de la fabulation. Celle d’un cinéaste rusé promu tête de série du nouvel Hollywood régnant en démiurge sur son arsenal de ficelles grand-guignolesques. Dans son désenchantement sceptique, son relativisme las et vain, Le Village dit aussi que, de plus en plus, le petit maître s’ennuie.
Jean-Marc Lalanne
Le Village de M. Night Shyamalan, avec Joaquin Phoenix, Adrien Brody, Bryce Dallas Howard, William Hurt, Sigourney Weaver.
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