Les mésaventures pitoyables, pathétiques et tragi-comiques d’un vieux Roumain qui veut juste être soigné. Prix Un certain regard à Cannes en 2005.LA MORT DE DANTE LAZARESCUDE CRISTI PUIUavec Ioan Fiscuteanu, Luminita Gheorghiu, Mihai Bratila, Doru Ana, Dana DogaruLa Mort de Dante Lazarescu, c’est l’anti-Le temps qui reste. Là où François Ozon nous propose une vision […]
Les mésaventures pitoyables, pathétiques et tragi-comiques d’un vieux Roumain qui veut juste être soigné. Prix Un certain regard à Cannes en 2005.
LA MORT DE DANTE LAZARESCU
DE CRISTI PUIU
avec Ioan Fiscuteanu, Luminita Gheorghiu, Mihai Bratila, Doru Ana, Dana Dogaru
La Mort de Dante Lazarescu, c’est l’anti-Le temps qui reste. Là où François Ozon nous propose une vision fantasmée de la mort (jeune, propre, romantique, stoïcienne, ensoleillée la mort telle qu’on se la souhaiterait à soi-même et incarnée dans le beau Melvil Poupaud), Cristi Puiu, lui, préfère nous la montrer dans toute sa noirceur vieillesse, vomi, alcool, saleté, misère morale et solitude absolue , figurée par un gros barbu pas ragoûtant pour un sou, le Dante (comme le poète) Lazarescu (comme le ressuscité) du titre, aussi peu poète que peu susceptible, a priori, d’une quelconque résurrection autre que cinématographique.
Paradoxalement, cette vision sombre de la mort provoque une certaine jubilation, celle que produit la rencontre avec une œuvre qui semble résolue à ne pas vous vendre des mensonges. Ici, pas de ponte de la médecine compatissant qui, les yeux plongés dans les vôtres, prend de son temps précieux pour vous dire qu’il accepte votre décision de profiter du temps qui reste pour le remplir avec des choses essentielles. Non, ici, on veut ne plus avoir mal à la tête, l’annonce de la mort nous est faite dès le titre, et les médecins auraient plutôt tendance à faire preuve d’une absence totale d’intérêt pour notre héros Dante, un pauvre vieux qui a picolé n’importe quoi toute sa vie et qui d’emblée est considéré par eux comme un boulet, et même comme un coupable qui a l’impudence de vouloir être soigné alors qu’il est seul responsable de sa décrépitude physique ou comment les hommes de l’art se font juges, en toute impunité.
Car des médecins, dans cette seule nuit qui constitue l’unité de temps du film, il va en voir beaucoup, l’ami Dante. Un soir qu’il se sent mal dans son petit HLM de Bucarest, qu’il a vomi toute la journée et qu’il souffre d’un mal de tête qui ne veut pas le quitter, notre hère, entouré des trois chats qui égaient sa vie de veuf solitaire, va réclamer un médicament à ses voisins, qui s’empressent lentement d’appeler les urgences locales, qui n’ont d’urgence que le nom.
Arrive donc, mais pas très vite, le second personnage important du film, madame Mioara, une assistante médicale quinquagénaire mollement entêtée, qui va prendre en charge Dante et tenter de le faire soigner comme il se doit. Notre homme Lazarescu, sous la houlette de madame Miora, va être trimballé en ambulance d’hôpital en hôpital, à la recherche d’une bonne âme qui acceptera de l’opérer du cerveau et de le sauver momentanément d’une mort imminente, puisque son foie est de toute façon désespérément sombre sur les radios…
C’est donc presque en temps réel que Cristi Puiu nous fait parcourir le chemin de croix de Dante, de service en service, d’hommes en blanc en hommes en blanc, portrait blanc d’une société, d’une civilisation blanche et froide comme la mort, et nous entraîne dans son road-movie ambulancier pitoyable et pathétique, récit picaresque morbide et dérisoire, où chaque arrêt nous permet de rencontrer des personnages bas en couleur.
Tout cela est éprouvant. Ames sensibles (hypocondriaques en premier), vous êtes prévenues, abstenez-vous, ou autre solution proposée par la mise en scène de Puiu plongez-vous dans la combinaison « fou rire nerveux » qui seule pourra vous préserver des douleurs ressenties par le pauvre Dante. Car le filmage caméra à l’épaule de Puiu et sa sale image sont assortis d’un humour fataliste qu’on qualifiera par paresse de post-Ceaucescu, d’européen de l’Est, un humour en titane qui résiste à tout, et qui semble même lié intimement au malheur, comme si ce dernier naissait armé de son propre antidote.
Et puis il y a les derniers plans, leur sobriété, leur pudeur, des plans quasi muets, soudain plus sereins, où l’on assiste au rasage du corps de Dante Lazarescu juste avant son opération. C’est le moment que choisit Puiu pour laisser seul Lazarescu, après avoir accompli le devoir qu’il s’était sans doute fixé : l’accompagner jusqu’aux portes au-delà desquelles plus personne ne peut plus rien pour vous. Mission accomplie.
Jean-Baptiste Morain