Versants les moins connus de l’oeuvre du réalisateur de « Casino », courts métrages et documentaires sont compilés sur une belle édition DVD.
LES FILMS : Une seringue d’adrénaline plantée tel un kriss en plein cœur. Deux types plongés dans un dictionnaire médical. Une fille, une overdose. Ces éclats de situation, qui procurèrent sa matière à une scène fameuse de Pulp Fiction, Tarantino les doit à une histoire réelle relatée d’une voix tantôt pâteuse, tantôt hystérique par Steven Prince dans le documentaire que lui consacra Scorsese en 1978, American Boy. Un portrait du rêve américain qui déraille, dont le personnage principal se dessine presque de lui-même sous l’œil d’une caméra qui enregistre rixes, shoot d’héroïne, improbables anecdotes tout à la fois lugubres et désopilantes… Le film sortit en salle en compagnie d’un autre documentaire réalisé quatre ans plus tôt, et cette association reçut ce titre piqué d’ironie : “L’Album de famille de Martin Scorsese”. Dans Italianamerican, réalisation en laquelle Scorsese voit le “pendant objectif” de Mean Streets comme American Boy serait celui de Taxi Driver, le jeune cinéaste filme la parole de ses propres parents, leur histoire d’enfants d’immigrés siciliens, et leur chicanes sur la composition de la sauce matriarcale. Par-delà sa beauté dans sa facture documentaire et la manne sociologique dont il se fait le réceptacle, Italianamerican est porteur d’un trouble persistant, que l’on peine d’abord à définir. Un instant on détourne le regard, on s’éloigne de l’écran, on oublie de mettre en pause, et soudain, l’évidence. Les chamailleries sexagénaires de papa et maman Scorsese nous apparaissent, dans chacune de leurs inflexions vocales ou langagières, infiniment semblables à celles d’un Robert DeNiro viré binoclard et un Joe Pesci travesti pour l’occasion. Ainsi, du souvenir des voix du cocon familial à celles des Affranchis, l’écart paraît infime… Les trois courts métrages également sur le DVD ont tous leurs joliesses et leurs enseignements sur l’art de Scorsese ; mais peu importe à vrai dire qu’ils recèlent les germes de prodiges à venir, les œuvres de jeunesse sont souvent là pour ça. On préfère en retenir ce que ce faux triptyque détient de plus renversant, le plus illustre des courts de Scorsese et l’un de ses chefs-d’œuvre, réalisé en forme de charge métaphorique contre le conflit vietnamien qui menait alors grand train, The Big Shave. Peter Bernuth pénètre dans une salle de bains trop immaculée pour être honnête, et s’y rase sans mot dire, d’abord consciencieusement, puis avec une violence désordonnée par le montage. Les gestes du quotidien virent alors tout à fait au carnage, noient la blancheur domestique sous un torrent de sang et emportent, lambeau après lambeau, le visage bon teint de l’Amérique moyenne pour en révéler un autre, écorché et ruisselant de blessures fomentées par elle-même.
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LE DVD : Chacun des films bénéficie d’une présentation par Michael Henry Wilson, qui revient d’une parole très informée sur films, jeunes années et origines sociales du cinéaste.
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