Casting de génie et beau film de la parole : pari réussi pour cette adaptation littéraire en costumes.
Après Une vraie jeune fille ou 36 fillette, Une vieille maîtresse. Catherine Breillat se serait-elle assagie ? Adapté d’un roman de Barbey d’Aurevilly, Une vieille maîtresse est sa première adaptation littéraire en costumes, catégorie très française et contenant en germe le risque de l’académisme culturel bon genre. C’est aussi le film de Breillat le moins coupant, le moins dissensuel, le plus recevable par un large public. Pour autant, Breillat ne baisse pas la garde et travaille toujours ce qui la travaille, même si elle opère avec une attaque moins franche qu’à son habitude. Le prince Ryno de Marigny doit épouser la jeune Hermangarde, petite-fille de la marquise de Flers, dont il prétend être amoureux. Mais resurgit sur le chemin de ce mariage une ancienne amante du prince. Celui- ci racontera ses aventures sexuelles à la grand-mère d’Hermangarde afin de lui prouver la sincérité de ses sentiments. Comme toujours, Breillat parle des difficiles relations homme-femme, mais surtout de la séparation nette selon elle entre les sentiments et le désir. Robe rouge (la passion charnelle) contre robe blanche (la pureté du cœur), devinez qui gagne ? De ce point de vue, Breillat est à contre-courant d’une Pascale Ferran et Une vieille maîtresse pourrait être vu comme un anti-Lady Chatterley. S’il n’y a, dans ces thèmes, rien de neuf chez Breillat (qui appartient à la catégorie des cinéastes qui font toujours “le même film”), l’originalité d’Une vieille maîtresse, en regard du reste de sa filmo, tient dans la langue et les manières XIXe siècle qui mettent à distance l’usuelle charge sexuelle et politique de la cinéaste – ou du moins qui la rendent plus subtile. La littérature et la reconstitution d’époque agissent comme une sorte de filtre qui atténue la crudité frontale coutumière de Breillat. La vraie force du film réside aussi dans un génie du casting assez unique en son genre. Asia Argento en vamp latine et Roxane Mesquida en jeune fille fragile sont comme on s’y attendait parfaitement idoines. A côté d’elles, Breillat a déniché un prince d’une beauté féminine assez renversante, Fu’ad Ait Aattou (mais peut-être un peu jeune pour son personnage d’amant déjà trentenaire ayant vécu), fait défiler toutes ses actrices principales précédentes (Lio, Caroline Ducey, Anne Parillaud… c’est tout un gynécée breillatien qui passe en arrière-plan), va chercher le toujours génial Michael Lonsdale et ose caster Yolande Moreau dans un total contre-emploi, ou la journaliste Claude Sarraute, qui n’avait qu’une pièce de Ruquier dans son CV d’actrice. Tout ce beau monde est excellent et contribue à faire d’Une vieille maîtresse un beau film de la parole. Après Ferran et sa sublime fusion sexe-pensée-sentiments de Lady Chatterley, après Rivette et sa douloureuse passion ratée de Ne touchez pas la hache, Catherine Breillat donne sa vision d’un grand texte littéraire de notre patrimoine. Et si elle souffre légèrement d’arriver dans ce genre en troisième position chronologique (on conseillera quand même aux cinéastes français de ne plus y toucher pendant quelques années sous peine de surexposition du genre), elle réussit elle aussi à tirer son matériau vers le cinéma et vers sa propre singularité.