Arthur Phillips tire le roman “rock” vers le haut : sur fond de BO impec, il épingle les cruautés de la vie artistique new-yorkaise avec une ironie tranchante.
Elle est rousse, racée et en route pour la gloire : tachycardie de masse et moisson de fans dans les clubs rock de Brooklyn, adoubement par le New York Times, mégabuzz sur la toile, tournée d’été en Europe. Il a le double de son âge, est né d’un mariage à trois entre un G. I. mélomane, une Française romanesque et la voix de Billie Holiday, traîne à Manhattan un deuil insurmontable et une addiction aux huit mille chansons de son iPod.
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De leur rencontre devrait naître une rassurante comédie romantique, aux rebondissements dorlotés par une BO de rêve – Smiths et Stones, rock indé et jazz, pop et bossa, la playlist figurant en annexe témoigne de goûts musicaux aussi sûrs qu’éclectiques. Mais si le troisième roman d’Arthur Phillips fait miroiter ces délices, il tourne le dos à leur utilisation paresseuse et campe une chanteuse et un publicitaire infiniment trop intransigeants, futés et cabochards pour se plier aux conventions d’un scénario écrit d’avance.
Une simple mélodie est en effet un roman Houdini qui, débutant comme une bluette de Nick Hornby, semble devoir s’articuler autour de problématiques familières pour aussitôt se libérer des ficelles narratives par lesquelles il fait mine de se laisser ligoter, et se joue des attentes de ses héros comme de celles des lecteurs pour mieux placer la frustration au coeur de la relation artiste/fan et des rapports entre élève et mentor.
Cette démarche innerve l’intrigue d’un suspense érotique constant, dont la tension doit autant aux pièges de la communication à l’ère internet/SMS qu’à un art consommé du teasing trompeur et aux équivoques découlant de dialogues obliques et de chansons flirteuses – des chansons dont les rimes et les ruses font swinguer les pages, laissant deviner sous le romancier un songwriter émérite. En jouant ainsi la carte de la complexité, Phillips tire le roman rock vers le haut, met sa plume cérébrale au service d’entêtants refrains et épingle avec une ironie meurtrière les cruautés de la vie artistique new-yorkaise.
Entre le portrait assassin d’un has been reconverti dans les arts plastiques, la semi-démence et les putes à perruques, un jubilatoire pastiche de la prose (et des poses) des rock critics et une retranscription acide du jargon pratiqué dans les temples du punk, il plonge la tribu Converse et tatouages dans un bain de vitriol digne de celui où Tom Wolfe noya autrefois les yuppies de Wall Street. On n’est donc guère étonné d’apprendre que, après avoir fait montre d’une malice telle que le titre français de son livre en devient un modèle d’antiphrase, le surdoué multicarte qu’est à l’évidence Arthur Phillips ait glissé dans son tout nouveau roman (The Tragedy of Arthur) une pièce inédite de Shakespeare, dont les plus sourcilleux spécialistes de théâtre élisabéthain saluent eux-mêmes la tenue.
Bruno Juffin
Une simple mélodie (Cherche Midi), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Edith Ochs, 496 pages, 21 €. En librairie le 16 février
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