De l’obscurité la plus totale peut surgir une puissante lumière : la preuve avec le nouvel album de ces Anglais, habité par une ferveur et une intensité impressionnantes.
“Sois heureux, reste heureux. S’il te plaît.” C’est par cette pressante supplique que Jamie Lee, tête pensante et tortueuse des magnifiques Money, achève notre conversation. Une conversation étrange. Car le garçon à qui l’on parle, celui qui doit s’expliquer sur le merveilleux mais apparemment très noir deuxième album de son groupe, celui qui doit faire la promotion de ce disque nommé au fusain désespéré Suicide Songs et écrit dans une obscurité morale absolue, a depuis, jure-t-il, vu la lumière.
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“Je pense avoir beaucoup changé, explique-t-il, comme pour s’excuser. J’essaie d’être une meilleure personne. J’ai besoin qu’il existe du bien, du positif dans mon environnement. J’ai vécu son absence totale : ça fait de moi quelqu’un de misérable, ça altère ma manière de voir le monde, de lui trouver un intérêt. Une personne mauvaise inflige de la douleur à son entourage. Et parce que j’ai été très égoïste, c’est ce que j’ai fini par faire.”
Archétype de l’artiste total
Si Jamie Lee a vu la lumière, s’il promet déjà avec un peu d’avance un troisième album plus positif, cet archétype un peu caricatural de l’artiste total et du poète maudit, mais cet archétype sincère, terriblement attachant et diablement talentueux, semble revenir de loin – ou plus exactement de profond.
“J’ai connu mes propres souffrances, j’en ai également infligé, et j’ai d’une certaine manière absorbé celles des autres. Sans forcément m’en rendre compte sur le moment, je me suis éloigné, éloigné encore, éloigné un peu plus, au point où je me suis retrouvé presque totalement seul, et totalement déprimé. Je sentais un grand poids sur mes épaules, celui de toutes ces souffrances, les miennes et celles des autres.”
Pas de hasard donc dans le titre de ce disque, conçu dans une douleur à la fois individuelle et collective, le fameux second album syndrom s’étant posé comme une cerise empoisonnée sur la dépression profonde de son leader, sur un groupe un temps paralysé.
Mots glaçants et incandescence
Pas de hasard, non plus, dans les mots glaçants de la chanson-titre, qui broient du noir jusqu’au rouge sang, celui des veines ouvertes (“Je sais que certains d’entre nous ont besoin de transformer la lumière en obscurité/Il est remarquable que certains d’entre nous ne le puissent pas/Ceci est ta chanson de suicide”, ce genre de joyeux tralala), dans la pochette inquiétante, menaçante de l’album, dans les titres de ses morceaux, A Cocaine Christmas and an Alcoholic’s New Year, I’ll Be the Night ou Hopeless World. “Hopeless world” : un monde sans espoir. Sans espoir, vraiment ? Bien au contraire : Suicide Songs est un joli paradoxe. Christ pop, songwriter sacrificiel, Jamie Lee a souffert pour nous, et a réussi à transmuer ses abîmes en majesté, à faire de ses humeurs les plus poisseuses d’amples et splendides morceaux.
Puissantes dès les premiers titres du groupe (The Shadow of Heaven), l’incandescence, l’intensité et la ferveur de Money sont décuplées, magnifiées par les arrangements riches et variables travaillés avec le producteur Charlie Andrew (Alt-J, Nick Mulvey, Marika Hackman…). Et loin d’être l’appel à la mort auquel il ressemble, Suicide Songs, par sa force, sa beauté trouble, son mysticisme, quelque part entre Spiritualized et The Verve, est un au revoir à la tristesse, une noirceur expulsée non sans douleur mais avec une divine grâce, comme on exorciserait une âme de son démon tenace.
Concert le 25 février à Paris (Point Ephémère)
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