Une habile comédie sentimentale autour du poker portée par l’empotée intelligente du cinéma américain, Drew Barrymore.
Si le cinéma français peut se vanter d’avoir inventé le “film psychanalysant parisien” (Bonitzer et consorts), le cinéma américain possède un genre qu’on lui envie secrètement : le film psychologique. L’un des plus emblématiques représentants en est Minnelli qui, de Thé et sympathie à Il faut marier papa, mit en scène des drames familiaux avec un tact admirable, ou encore Nicholas Ray, qui ajouta une touche convulsive au genre (Le Violent, La Maison dans l’ombre). Là-bas, l’introspection s’accompagne toujours d’une incarnation scénographiée de la parole et des précautions de la fiction qui, loin de délayer la vérité des sentiments, autorisent une modulation tout en souplesse. Lucky You est un film psychologique à l’américaine, même s’il se présente comme un film de poker, genre propice à la gestion dramaturgique des paris, réussites et coups du sorts. La dynamique des scènes abandonne pourtant très vite la veine performante au profit de la veine lasse, soit la routine des tours et l’assentiment sans drame à la dimension fatale de ce monde. En cours de route, la veine lasse se voit piquée d’une surprise, celle de l’amour, qui devrait perturber l’enchaînement des habitudes. Là encore, Curtis Hanson ignore délibérément les ressorts piquants d’une telle donne. Si ce désamorçage des potentialités du film de jeu et de la comédie sentimentale désoriente le rythme de Lucky You, il permet au final de
faire place nette à un unique motif psychologique : l’empêchement. Si la force d’un joueur de poker est de savoir cacher son jeu, cette rétention le conduit à l’échec dans la vie, laquelle réclame hélas, comme chacun le sait, l’émission de signes expressifs afin qu’un rapport entre une personne et une autre puisse s’établir. La conversion de la dissimulation, force professionnelle, en empêchement, faiblesse relationnelle, guide le récit – dont le dépouillement met en valeur le relief infinitésimal de ces brefs moments où un battement de paupières traduit, à tour de rôle, la virtuosité calculatrice du joueur et le désarroi de la personne. Le jeu si limité d’Eric Bana sert la réactivité minimale de son personnage, heureusement contrée par la vivacité de Drew Barrymore, la fille cachée d’Elvis Presley (menton en galoche, visage joufflu, bouche en cul de poule, hanches lourdes). Empotée intelligente qui ne pourra jamais rivaliser avec les grandes gigues athlétiques du Hollywood actuel, mais qui sait combien la maladresse de ses mouvements peut être attendrissante (admirez la manière dont elle enjambe sans souplesse aucune une moto et dévoile sciemment des cuisses au diamètre si peu contemporain), elle saura arracher un début de haussement de sourcil à son fiancé joueur et par là même rompre le cercle infernal du par-devers soi.